Sommes-nous découragés ? Nous aurions le droit de l’être face au spectacle qui se présente à nous, sans parler de celui d’être inquiet. Mais quoi ! L'inquiétude et le découragement ne sont pas des attitudes possibles pour un chrétien. Qu’un chef d’État brandisse des menaces de guerre civile et en récuse d’avance toute responsabilité personnelle ne doit pas ébranler notre sang froid : quoiqu’il advienne, il y aura une vie après le 7 juillet. Ce sera une vraie vie. Elle ne sera pas la fin du monde. Et si nous le voulons, elle ne se construira pas sans nous. Comme disait François de Salle, le passé ne nous appartient pas : il appartient à la miséricorde de Dieu. L’avenir ne nous appartient pas non plus : il appartient à la providence de Dieu. Mais le présent est notre affaire. Nous avons devant nous un présent hystérique, un présent tout neuf, un climat prometteur qui a besoin de nous.
La réalité reprend toujours ses droits
Au moment où j’écris ces lignes, on peut dire que le Rassemblement national (RN) disposera dans deux semaines d’une majorité relative, et peut-être même absolue, à l’Assemblée nationale. Tous les sondages nous l’annoncent et les sondages se trompent bien moins qu’autrefois. Que le RN dispose d’une majorité absolue rendrait les choses claires au moins au départ : ce parti fera son expérience de gouvernement à un moment où la majorité de nos concitoyens a envie d’essayer autre chose. Il était logique que cela arrivât un jour ou l’autre. Mais il faut se rappeler que quand ce jour arrive, la réalité ne tarde jamais à reprendre ses droits. En 1981, la France était prospère et solide, il existait un héritage à dilapider, le programme commun de la gauche a pu être engagé. Après deux ans de rêve achevé en cauchemar, l’atterrissage fut brutal. Il n’en sera pas ainsi avec le Rassemblement national : il n’y a plus d’argent, plus d’esprit civique, plus de marge de manœuvre. Un Premier ministre de la France de 2024 est un homme beaucoup moins puissant qu’un Président français de 1981.
Il faut donc, par temps de tempête, prendre les choses calmement, sans oublier qu’il y a toujours un coup d’après.
Nous avons une idée de ce à quoi les choses pourraient ressembler en 2024 : l’Italie, la Suède, la Finlande, la Hongrie, la Pologne, pays européens naguère gouvernés à gauche, ont choisi des gouvernements de droite dure (avec de fortes nuances) et, après des cris d’orfraie, semblent survivre sans catastrophe à ce changement radical de leur paysage politique. Leurs dirigeants sont restés plus populaires que les nôtres et le monde ne leur est pas tombé sur la tête. Pour autant, les institutions chez nous ont ceci de particulier que le régime est "semi-présidentiel". Le président de la République désavoué gardera la main sur beaucoup de choses et en tout cas sur la manette des freins. Soumission ? Retournement ? Démission ? Les hypothèses quant à son avenir seront ouvertes. Il faut imaginer Jordan Bardella en Giorgia Meloni. Mais Emmanuel Macron ? On pourrait parier que cet adepte des coups d’éclat hasardeux jette l’éponge avant la fin de son mandat. Et alors, selon la date des élections présidentielles, on ne saurait rien prévoir. Ou plutôt il faudra tout prévoir.
Prendre les choses autrement
Cependant, si aucune majorité absolue ne sort des élections législatives, hypothèse la plus probable en réalité, nous aurons trois blocs à l’Assemblée nationale. Deux gros et un petit, ou deux petits et un gros. Ces trois blocs auront bien du mal à s’accorder sur un programme de gouvernement. Dans ce cas, il faudra combiner. La certitude que la volonté des électeurs ne sert plus à rien, que les choses se décident par des arrangements de groupes parlementaires ou la prise de pouvoir par les technocrates, finira de persuader les Français que la démocratie est moribonde et que la politique est un désespoir. Des désespérés sont capables de tout. C’est ici que se situe notre droit d’être inquiets. Retour à la IVe République. Tout ça pour ça !
Il faut donc, par temps de tempête, prendre les choses calmement, sans oublier qu’il y a toujours un coup d’après. La fin d’un monde n’est jamais la fin du monde. Nous devons dès à présent construire l’avenir que nous voudrons pour nos petits-enfants. Une cure d’opposition rend plus intelligent. La participation à une majorité disciplinée n’a jamais rendu personne plus créatif.