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Les larmes d’une mère ne mentent pas

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Une mère pleurant sur la tombe de son fils, enterré dans le jardin de sa maison à Boutcha (Ukraine), 6 avril 2022.

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Benoist de Sinety - publié le 10/04/22
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Curé de la paroisse Saint-Eubert de Lille, le père Benoist de Sinety commente chaque dimanche l’actualité de l’Église et du monde. Aux manipulations des images et de la vérité qui fleurissent en temps de guerre, il oppose la réalité de la souffrance qui ne ment pas, où qu’elle soit.

"On nous ment !" : depuis plusieurs jours, comme chacun, je peux lire sur les réseaux sociaux et parfois même sur ma boîte mail grâce à la prévenance touchante de quelques bonnes âmes qui espèrent encore me sauver de mon aveuglement, des mises en doute sur la véracité des photos des massacres en Ukraine. Images truquées, commentaires partisans, propagande d’État : tout y passe. Les cadavres ne seraient pas des vrais morts, on relaie même un reportage commenté par une chaîne de télévision russe expliquant que la tragédie de Boutcha aurait été "préparée" par les services secrets ukrainiens sous la direction du MI6 britannique... Que des centaines de journalistes du monde entier soient sur place, que des millions de réfugiés témoignent des atrocités dont ils ont été victimes ou témoins : cela ne semble pas compter pour tous ceux à qui "on ne la fait plus".

Jamais une société n’a été aussi informée, jamais elle n’a douté autant. Il y a quelque chose d’irritant pour la raison à entendre les arguments de ceux qui mettent en cause systématiquement la probité de ceux qui sont sur place. D’abord parce qu’ils sont souvent loin d’être sans arrière-pensée, ensuite parce qu’on y retrouve bien tous ceux qui, de manière plus habituelle, se pensent sélectionneurs de l’équipe de France de foot depuis leurs canapés. Sauf qu’il s’agit ici de souffrances et de vies humaines.

Je sais d’expérience combien, si une image peut être falsifiée par un commentaire, en revanche, les larmes d’une mère qui témoigne de son enfant déchiqueté par un tir ne peuvent être menteuse.

J’ai vu la guerre. Je n’en tire ni fierté ni orgueil. Cela ne me donne pas l’autorité pour dire la vérité ni pour la discerner. Mais je sais d’expérience combien, si une image peut être falsifiée par un commentaire, en revanche, les larmes d’une mère qui témoigne de son enfant déchiqueté par un tir ne peuvent être menteuse. Ce que nous disent les Ukrainiens, c’est que leurs enfants meurent au milieu d’hommes et de femmes de tous âges et de toutes conditions. On souhaitera à ceux qui haussent les sourcils et soupirent de ce « mélodrame mis en scène » que le jour où ils subiront une toute petite violence, leur témoignage ne rencontre pas le millième du scepticisme qu’ils éprouvent devant le drame en cours. Gageons cependant qu’ils ne se priveraient pas du droit de s’en indigner aussitôt...

La rigueur des termes

Il est vrai en retour que des excès sémantiques peuvent nourrir la confusion. Ainsi lorsque des responsables politiques parlent de génocide perpétré contre les Ukrainiens : il est bon de rappeler la définition juridique de ce qu’est un génocide, histoire de ne pas galvauder la gravité exceptionnelle d’un tel acte. Ils ont d’autant plus tort d’utiliser ce mot qu’il en existe d’autres qui disent crûment la violence effrayante qui s’abat sur ces villes et ces civils : boucherie, crime de guerre, crime contre l’humanité, massacre... Que les responsables ukrainiens usent de cet excès, qui pourrait les en blâmer ? Mais les autres ? Les diplomates ne devraient-ils pas exiger d’eux-mêmes la rigueur des termes et la maîtrise de leurs nerfs ?

Autre chose enfin : l’oubli des autres guerres. Comment est-il possible, non pas que nous nous focalisions sur ce conflit en Europe (puisqu’il nous concerne très directement), mais que nous ignorions à ce point d’autres massacres en cours et ce depuis des années ? Je cite dans le désordre le Yémen (400.000 morts à la fin 2021 en sept ans de conflit), Congo RDC, dans le Kivu (plus de 5 millions de morts entre 1996 et 2003) et combien d’autres... Non que cette omission rende illégitime notre indignation et notre révolte devant la ruine de nos voisins, mais là encore la colère politique médiatisée de nos dirigeants serait d’autant plus fondée qu’elle s’exprimerait aussi à l’encontre des princes saoudiens ou des hommes d’affaires mafieux qui se battent par soudards interposés pour les gisements congolais.

Un devoir sacré

Que la vérité ne soit pas dite pour les uns n’empêche pas de la dire pour les autres. L’erreur morale serait que sous ce prétexte-là, ceux qui croient que la Vérité ne se relativise pas aux sentiments et aux passions, oublient qu’elle s’impose à leurs consciences comme un devoir sacré lorsque leur est présenté le mal à l’état brut. Et qu’en nommant ce mal, on ne le confond ni avec la culture dans laquelle il s’exprime ni avec les peuples qu’il cherche à ensorceler.

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