La chapelle Notre-Dame de Grâce qui domine l’estuaire de la Seine est comble en ce vendredi 28 juin 2024. La messe vient de se terminer. Pendant que le frère Matthieu, chanoine prémontré de l’abbaye de Mondaye, va chercher le nouveau manteau à la sacristie, le temps est suspendu. Avec l’aide des dames de l’ouvroir de l’abbaye qui l’ont réalisé, il déploie le précieux ouvrage. Face à ce demi-cercle bleu semé de fleurs de lys d’or, un cri d’admiration unanime surgit de l’assemblée stupéfaite : "Qu’il est beau !"
Un secret bien gardé
Le premier surpris est le père Pascal Marie, curé de la petite ville normande qui a la charge du sanctuaire Notre-Dame de Grâce depuis onze ans. "Il m’avait proposé de réaliser un nouveau manteau il y a cinq ans s’amuse le frère Matthieu. J’avais accepté mais ne lui avais donné aucun détail sur l’avancement de sa fabrication. Il n’a appris la nouvelle que fin juin et ne s’attendait certainement pas à un tel résultat !" L’ouvrage a été en effet fabriqué dans le plus grand secret. Même les couturières ont ignoré jusqu’au bout la destination d’un tel manteau. "J’aime bien cette idée de travailler dans le secret, d’abord pour rester dans l’humilité et aussi pour imiter la Vierge Marie qui "gardait dans son cœur tous ces événements" (Lc 2, 51)."
De son côté, le père Pascal Marie se réjouit. "Deux prêtres prémontrés ont desservi le sanctuaire en 1880. Une plaque dans l’église en témoigne." C’est pourquoi il a sollicité l’ouvroir de Mondaye dont s’occupe le frère Matthieu avec douze couturières bénévoles. "La tradition des manteaux de la Vierge Marie est ancienne, raconte le curé. En arrivant dans la paroisse, j’ai constaté que les vêtements de la statue étaient très abîmés et j’ai voulu relancer la tradition en proposant de renouveler son vestiaire."
Un manteau très symbolique
Le dernier en date dont la Vierge a été revêtue en ce début juillet est en "suédine bleu azur, assez épais pour avoir un beau tomber", explique le frère Matthieu. Semé de fleurs de lys brodées au fil doré, il représente le blason de l’ordre prémontré qui porte les armes des rois de France par concession de saint Louis. Les fleurs de lys, de quatre tailles différentes, sont au nombre de 53, représentant tous les Ave du chapelet, ce qui montre le caractère marial de l’ordre prémontré. La doublure est un réemploi d’une chasuble ancienne "pour montrer que l’ordre est sacerdotal". Sur la soie ivoire, on peut distinguer des motifs de "cerfs affrontés", allusion au cerf altéré qui cherche l’eau vive du psaume 22, un psaume abondamment commenté par saint Augustin, dont les prémontrés suivent la règle.
En secret, sous le manteau de la Vierge Marie
L’ouvrage a demandé des centaines "d’heures de travail dans l’application et la conviction que la Vierge Marie, allait bien nous accepter à l’intérieur de son manteau", raconte l’une des couturières. En effet juste avant d’y apporter les derniers points fixant définitivement la doublure au manteau, une fine pochette remplie de petits cartons manuscrits a été glissée, de telle manière qu’elle demeure invisible. "Il existe une tradition liée aux manteaux, explique le père Pascal : mettre dans la doublure les intentions de prière des personnes qui les fabriquent. Cela rappelle la Vierge de l’Apocalypse qui prend ses enfants sous son manteau de tendresse." Là-haut, au sanctuaire Notre-Dame de Grâce, la Vierge Marie n’a pas fini d’accueillir ses enfants et de porter leurs prières les plus secrètes.