Automne 2020, la guerre reprend au Karabagh entre l’Azerbaïdjan et l’enclave arménienne, sans que l’Arménie n’intervienne directement dans le conflit. Après plusieurs semaines de combat, un cessez-le-feu est signé sous l’égide de la Russie qui reconnaît une reprise de plusieurs territoires par Bakou. Depuis lors, la situation se fige dans un statu quo fragile. Automne 2022, les combats reprennent, non plus au Karabagh, mais directement en Arménie. L’armée azérie a bombardé plusieurs villages et lancé des attaques contre des points de la frontière. Bakou se sait en position de force. Son armée est supérieure à celle d’Erevan, qui n’a pas opéré de réajustement militaire depuis 2020.
La Russie est empêtrée en Ukraine et a donc d’autres dossiers à traiter que ses marges du Caucase. Quant à l’Europe, s’étant privée du gaz russe, elle a plus que jamais besoin du gaz d’Azerbaïdjan si elle veut limiter la casse cet hiver. Un alignement des planètes favorable que Bakou n’a pas manqué d’utiliser à son profit, avec l’objectif de régler définitivement le conflit du Karabagh, de s’en emparer et de repousser l’Arménie suffisamment loin pour que le pays ne revienne plus dans la région.
L’Arménie, seule face à elle-même
L’objectif de Bakou est clair : contrôler la zone et régler le différend au niveau international afin qu’il n’y ait plus de contestation possible. Ainsi se fermerait un conflit débuté en 1992 avec la disparition de l’URSS et le partage du Caucase en nations. De son côté, l’Arménie est plus que jamais seule. Avec à peine 3 millions d’habitants contre 10 millions pour l’Azerbaïdjan, elle ne dispose pas des moyens humains pour répondre à l’agression. Son armée est faible, sous-équipée et vieillie. La bonne volonté ne suffit pas face à une armée azérie aguerrie, disposant de matériels modernes et performants, alimentée par les Turcs en drones de dernière génération. Le combat militaire est d’autant plus inégal qu’Erevan n’a pas su ou pas pu moderniser son armée après la guerre de 2020. Elle paye aujourd'hui le retard accumulé.
En juillet dernier, Ursula von der Leyen s’est rendue à Bakou en compagnie de la commissaire de l’Union européenne à l’énergie afin de négocier un nouveau traité sur l’achat de gaz. Coupée du gaz russe, l’Europe espère pallier ce manque par une partie du gaz de Bakou.
Esseulée sur le plan militaire, l’Arménie l’est aussi sur le plan diplomatique. En 2020, elle avait été aidée par la Russie ; Moscou étant intervenu pour séparer les belligérants et négocier un cessez-le-feu. Désormais, le voisin redouté et espéré a la tête ailleurs. Les pays d’Europe ne sont guère disposés à intervenir. En juillet dernier, Ursula von der Leyen s’est rendue à Bakou en compagnie de la commissaire de l’Union européenne à l’énergie afin de négocier un nouveau traité sur l’achat de gaz. Coupée du gaz russe, l’Europe espère pallier ce manque par une partie du gaz de Bakou.
En 2021, l’Azerbaïdjan a livré 8 milliards de m3 de gaz naturel, soit 2% de la consommation européenne. L’objectif de la Commission est de dépasser les 10 milliards en 2022, notamment en étendant l’un des trois gazoducs qui relient Bakou à l’Europe. La présidente Ursula von der Leyen affirmait alors sa volonté de doubler l’approvisionnement en gaz azéri d’ici quelques années, c'est-à-dire de passer de 8 à 16 milliards de m3. Certes, l’approvisionnement azéri est faible (2%), mais dans un contexte de guerre économique avec la Russie et d’inflation majeure des prix de l’énergie, chaque goutte compte. On comprend dès lors le silence qui règne à la Commission face à la guerre actuelle.
Une mobilisation pour rien ?
La communauté arménienne de France a beau mobiliser ses réseaux habituels, politiques et intellectuels, le gouvernement français ne bouge pas. Cette guerre gêne, mais beaucoup préfèrent regarder ailleurs en espérant qu’elle sera courte et que l’on pourra rapidement passer à autre chose. Tant pis pour les souffrances des Arméniens qui craignent à terme pour l’avenir de leur pays. Face à la masse démographique de la Turquie (85 millions d’habitants) et de l’Azerbaïdjan, l’Arménie est écrasée. Face au corridor turcique qui se crée entre la Méditerranée et la Caspienne, face aux réalités des besoins énergétiques, Erevan craint de disparaître corps et biens. Les multiples silences qui entourent cette guerre n’augurent rien de bon pour la suite. Le lâche soulagement qui fait regarder ailleurs témoigne surtout de la faiblesse politique et stratégique de l’Europe. Incapable d’apporter quoi que ce soit à la paix en Ukraine, elle est tout aussi incapable de résoudre le conflit du Caucase. Cela finit par se savoir et donc par susciter le mépris de ses voisins.