Sur les vidéos qui parviennent du conflit, on voit des soldats ayant pris position sur les hauteurs pellées du Sud de l’Arménie repoussés par des bombardements d’artillerie et de drones. Il ne s’agit plus d’escarmouches, mais d’offensives à grande échelle. Elles auraient fait 105 tués côté arménien et 77 dans les rangs azerbaïdjanais. Les combats ont cessé le 15 septembre, après la conquête de 10km2 par l’Azerbaïdjan. Mais le cessez-le-feu paraît fragile.
"Je ne crois pas que cela s’arrêtera là", craint Kéram Kerovian, ingénieur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et auteur, d’origine arménienne. Pour l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie d’Erdogan, le sud de l’Arménie représente un enjeu trop important. Le pays est séparé de son exclave du Nakhitchevan, elle-même reliée au territoire turc, par le sud de l’Arménie. Il leur faut donc remettre la main dessus. D’un point de vue arménien, la perte de ce morceau de territoire serait une catastrophe au regard de l’histoire des Arméniens. Il réduirait encore un pays minuscule, et ils les priveraient d’accès vers l’Iran.
La Russie comme seul recours
Kéram Kerovian craint que le seul salut possible de l’Arménie réside dans l’allié historique russe. La Turquie est un allié précieux pour l’Otan et fournit du gaz à l’Allemagne. Il paraît donc improbable que les pays occidentaux prennent parti contre elle. L’autre allié historique de l’Arménie, l’Iran, est dans une situation économique et politique qui lui permet difficilement de s’engager dans une confrontation.
L’Arménie, avec ses 3 millions d’habitants, peut difficilement rivaliser avec l’Azerbaïdjan qui en compte 10 millions, et qui profite de sa manne pétrolière et gazière pour gonfler ses dépenses militaires. Par le passé, pourtant, en 1994, l’Arménie était sortie vainqueur d’une confrontation avec son voisin et ennemi. Mais elle avait été incapable de réitérer son exploit en 2020, lors de l’attaque du Haut Karabagh. Les différences d’armements avaient pesé trop lourd en défaveur de l’Arménie, l’Azerbaïdjan ayant bénéficié du soutien turc. Des instructeurs, du matériel et même des combattants djihadistes venus de Syrie, avaient été généreusement fournis par le "grand frère" Erdogan. Le président turc était trop heureux de participer à cette guerre qui confortait ses ambitions ottomanes et musulmanes. Il rêve en effet ouvertement d’une large zone d’influence sur les peuples turcophones, qui s’étendrait de l’Europe jusqu’aux confins de la Chine.
Une guerre sans fin
Le 10 novembre 2020, après 40 jours de guerre, Vladimir Poutine avait imposé un cessez-le-feu humiliant pour l’Arménie. La raison de cette intervention tardive de la Russie a suscité des interrogations. Certains ont vu dans ce délai un désir de punir le Premier ministre Nikol Pashinyan de s’être montré trop favorable aux pays Occidentaux, rompant avec la tradition d’allégeance au protecteur russe des précédents dirigeants arméniens.
Toutefois ceux qui prônaient la non-intervention en 2020 pouvaient arguer du fait que les territoires disputés appartenaient officiellement à l’Azerbaïdjan. Ils étaient certes arméniens de par leur population et de leur histoire, mais les frontières étaient l’héritage des découpages territoriaux opérés par Staline quand il était "commissaire aux nationalités". Pour donner des gages à la Turquie d’Atatürk, et mâter les chrétiens, le futur maître du Kremlin avait taillé la part du lion aux turcophones au détriment des Arméniens.
Ces frontières, iniques au regard de l’histoire, demeurent celles qui sont reconnues par le droit international. Y compris par la Russie, gendarme traditionnel du Caucase. Mais à présent, c’est le territoire même de l’Arménie qui est attaqué. En bonne logique, la Russie devrait prendre sa défense. Mais elle est empêtrée dans la guerre qu’elle a lancée contre l’Ukraine. Quant aux Occidentaux, ils n’ont d’yeux que pour l’Ukraine…et ne veulent pas fermer la vanne des hydrocarbures d’Azerbaïdjan. Ilham Aliyev, le président azerbaïdjanais, a les mains libres...