Alors que fuitent à droite à gauche quelques bribes d’information sur l’avant-projet de loi sur la fin de vie, faisant resurgir ces mots que l’on craignant tant : "suicide assisté", "exception d’euthanasie" et autres termes avouant les orientations prises de l’abandon de nos mourants ou de nos aînés (alors qu’un élargissement des soins palliatifs auraient permis de les accompagner), la période de l’Avent est l’occasion de s’interroger sur cette dimension qu’est la vie : celle que l’on empêche d’advenir, celle que l’on cherche, par tous ces moyens, à abréger.
Car Noël, c’est l’histoire d’une vie naissante. D’emblée vulnérable, fragile, dépendante. D’emblée respectable et digne malgré une pauvreté apparente. Comme ces vies finissantes que l’on nous présente comme inutiles, condamnées à être souffrantes.
Pourtant, la vie qui a vu le jour au soir de Noël dans la crèche de Bethléem a reçu avant tout de l’amour et des soins, des visites des personnes aux alentours, certains venant même de très loin. A l’image des premières réactions que devrait avoir toute société qui accueille en son sein un nouveau-né. A l’image des premières réactions que devrait avoir cette même société quand l’un des siens s’apprête à s’en aller. Encore plus si l’un des siens envisage de se suicider.
Car face à la souffrance, au mépris de soi, à la perte d’espérance, notre réponse doit être l’amour, pas la mort. L’accompagnement, pas l’achèvement. Le soin ajusté, pas l’acharnement. La recherche du bien-être, de la douceur, du confort. Ce que savent faire tant de structures qui accompagnent les personnes âgées, les malades et les mourants.
Je me remémore mon premier Noël après mon diplôme : je l’ai vécu au travail, à l’hôpital, avec Martine. Du haut de son grand âge et de ses 1,80 mètres, elle regardait sa vie avec dépit : une mauvaise chute, une ambulance et la voilà en service de rééducation à la place de ses vacances. Finie la piscine qu’elle pratiquait encore passionnément, finie la cuisine qu’elle préparait amoureusement, fini l’arrosage des plantes et le vélo d’appartement.
Aider à continuer d’advenir
Consentir à ce ralentissement lui fut pénible, voire insupportable par moment. Elle a demandé à mourir. Avant de retrouver son sourire. C’était ce 24 décembre en fin de journée, alors que la nuit commençait à tomber, elle cherchait un bras auquel s’accrocher pour se rendre à la Messe de Noël de l’hôpital. Le mien venait de finir l’œuvre de sa journée, il était libre pour la soutenir.
Et nous avons déambulé dans les couloirs, cherchant tranquillement où se trouvait la chapelle de l’établissement. Sur le chemin, Martine m’a parlé de son amour pour sa famille, ses amis et l’intérieur de son appartement.
Mon cadeau de Noël fut de contempler ce que produit l’accompagnement dans une vie en apparence désespérée.
Puis elle s’est plongée dans un silence recueilli en rejoignant l’office qui venait de débuter. Et elle a souri. D’une joie et d’un espoir retrouvés. Et qui, jusqu’à son retour définitif chez elle, ne l’a plus quittée.
Mon cadeau de Noël fut de contempler ce que produit l’accompagnement dans une vie en apparence désespérée : un sentiment d’existence et d’espérance restauré. J’y étais, à la crèche de Bethléem : non pas avec une vie naissante, mais avec une vie vieillissante, que je contemplais, emmaillotais de mes soins et de mes bras, pour lui permettre de continuer d’advenir.