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Euthanasie : l’Oregon ou la Belgique ?

Un patient dans un unité de soins palliatifs.

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Benoist de Sinety - publié le 17/12/23
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L’avant-projet de loi sur "l’aide active à mourir" préparé par le ministère des Professions de santé s’inspire des modèles ayant légalisé le suicide assisté (Oregon) avec l’intervention d’un soignant (Belgique). Une course au "progrès" au service de la mort dont on ne maîtrise plus les règles, s’inquiète Mgr Benoist de Sinety, curé-doyen de la ville de Lille.

L’Oregon ou la Belgique ? Voici donc l’horizon auquel on nous explique qu’il nous faut consentir. Les membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie, reçus par le porte-parole du gouvernement jeudi 14 décembre, ne sont pas les premiers à devoir attendre, incrédules, pendant des mois, des nouvelles d’un État qui aime demander des rapports mais qui est souvent bien lent à en rendre compte. Y aura-t-il donc une loi ? Selon les plus impatients, elle pourrait, si toutes les étapes sont passées sans encombre, entrer en application dans 12 ou 24 mois. Vu le contexte national autant dire que rien n’est certain. Cela n’empêche pas le petit poison d’être instillé, mine de rien, de téléfilms en plateaux télé où les éternels mêmes sont invités à nous émouvoir de leurs drames personnels afin d’instituer un modèle collectif. 

Méthode immuable

La méthode est connue, elle est d’ailleurs immuable : des tribunes d’experts, des situations singulières qui deviennent des téléfilms, un sujet primé à Cannes et des suppliques au président de la République. Le tout en suivant la courbe des sondages qui, de drames en shows, doucement s’inverse pour donner aux "progressistes" le sentiment qu’ils sont dans l’air du temps, alors qu’ils n’ont fait que construire un couloir dans lequel ils s’enferment. La fanfare, depuis longtemps, sur cette question de la fin de vie, s’est mise à jouer et de plus en plus fort. Bien sûr on laisse, pour l’idée d’harmonie, quelques voix dissonantes. Des journaux leur offrent des colonnes, face à d’autres. L’Internet fait le reste. Et les réseaux aussi, où la raison peine à argumenter face à l’émotion.

De quoi pourrions-nous plaindre ? La quintessence du progrès moral rassemblé au service de notre mort, quelle gloire !

Il est pourtant une spécificité française, qui fait de nous, en ce domaine (enfin !), une nation d’excellence : les soins palliatifs. Leur mise en place, encouragée à l’époque mitterrandienne, et leur développement depuis, apportent à des milliers de familles chaque année, quelques jours de répit pour se préparer à la séparation de la mort dans les conditions les plus humaines et les plus dignes possible. Cela ne pourra jamais répondre à l’ensemble des situations particulières et il y en aura toujours une qui interrogera violemment nos consciences par le degré de souffrance à consentir et la prise en compte de la supplique qui peut en émaner. Les soins palliatifs répondent bien à cette exigence du bien commun qui ne saurait se réduire à l’addition des biens particuliers. 

Deux modèles

Dans ce que l’on comprend du potentiel projet de loi, il s’agirait d’établir un "système à la française" inspiré par deux approches qui pourtant sont bien distinctes et censées être, chacune, une alternative à l’autre. En gros, l’approche du suicide assisté, méthode oregonaise, où l’on donne au patient le produit nécessaire afin qu’il se l’administre lui-même, et le système belge de l’euthanasie où c’est le médecin qui pose l’acte de tuer. Avec une variante dans la proposition française : contrairement à ce qui se passe ailleurs, le médecin, fort de l’accord préalable du patient, serait seul à décider de l’acte puisqu’il resterait libre de suivre ou pas les recommandations de confrères désignés.

Dans une société épuisée et aujourd’hui presque totalement sécularisée, où la morale individuelle est normative du "vivre ensemble", jusqu’où ce jeu nous entraînera-t-il ?

De quoi pourrions-nous plaindre ? La quintessence du progrès moral rassemblé au service de notre mort, quelle gloire ! D’autant que les soins palliatifs figurent bien dans la déclaration d’intention du législateur. Ils y sont même en bonne place : "Art. 1110-9. – Toute personne en fin de vie, dont l'état le requiert et qui le demande, a un droit d'accès universel à des soins palliatifs et à un accompagnement dans sa fin de vie." Il n’est cependant pas interdit de s’interroger sur la pérennité de ce système dans un État en faillite économique lorsqu’il aura à choisir entre la promotion d’un modèle qui fait vite mourir à bas coût ou un autre, infiniment plus dispendieux.  

Jusqu’où ce jeu nous entraînera-t-il ?

Il y a quelques décennies, la France s’enorgueillissait d’un appareil magique, le Minitel. Cette boîte beige nous donnait le pouvoir de nous connecter à un univers virtuel qui nous émerveillait. Nous étions alors les seuls à permettre un accès domestique et général à un univers que peu savait alors nommer. Puis vint la démocratisation d’Internet. Son succès menaçait le monopole du génie national. Dans un premier temps, dans nos foyers, nous continuions à utiliser cette machine devenue familière, pensant que le système américain ne "prendrait pas chez nous" tant nos mœurs étaient particulières. Il arriva ce qui arriva.

? Le seul horizon de notre vieille nation, lassée de réfléchir sur sa vocation, est-il désormais d’être l’héritier métissé de l’Oregon et de la Belgique, ballotté au gré des courants et des vagues d’émotion ?

Il y a encore un peu plus longtemps fut voté la loi légalisant l’avortement. Simone Veil, qui savait la gravité de ce qui se jouait là, avait encadré de multiples manières la possibilité d’y recourir. On sait ce qu’en moins de dix ans, on fit de ces précautions. Les modifications apportées à la vie sociale par des lois dictées par des directeurs de communication et des intérêts financiers sont toujours un risque et jamais une chance. Dans une société épuisée et aujourd’hui presque totalement sécularisée, où la morale individuelle est normative du "vivre ensemble", jusqu’où ce jeu nous entraînera-t-il ? Mais au fait, sommes-nous d’ailleurs encore capables d’en maîtriser les règles ? Le seul horizon de notre vieille nation, lassée de réfléchir sur sa vocation, est-il désormais d’être l’héritier métissé de l’Oregon et de la Belgique, ballotté au gré des courants et des vagues d’émotion ?

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