C’est une histoire de famille. Les Brueghel sont des peintres flamands de la Renaissance. Plusieurs générations d’artistes se sont succédé (six ont été identifiées), les plus jeunes copiant parfois les œuvres des plus anciens. C’est le cas à Saint-Séverin, remarquable sanctuaire gothique situé au cœur de Paris, à quelques centaines de mètres de Notre-Dame. Cette église renferme dans sa sacristie un tableau de Brueghel le Jeune (1564-1636). Il reprend la composition d’un tableau de son père Brueghel l’Ancien, tableau aujourd’hui disparu. On en connaît même trois versions : celle-ci conservée à Paris, une autre conservée à Philadelphie et une troisième en collection privée. Il ne s’agit pas d’une simple copie, mais d’une nouvelle interprétation.
Original, ce tableau l’est par une représentation d’une crucifixion en cours : les croix du Christ et du mauvais larron sont déjà érigées, on est en train de dresser celle du bon larron, à gauche du tableau, suivant les paroles de l’évangéliste (Jn 19, 17-18):
Lui-même portant sa croix, sortit en direction du lieu-dit ‘le Crâne’ (ou Calvaire) qui se dit en en hébreu ‘Golgotha’. C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu.
Autre originalité, la situation de la scène. Au lieu de se dérouler sur un lieu en hauteur, elle est située entre de hautes montagnes. Dans le lointain, une ville, difficilement identifiable, aux bâtiments anachroniques. Quelle foule ! Dans cette vue en plongée, le spectateur domine la scène. Il faut un regard attentif pour distinguer, parmi les dizaines de personnages représentés, Marie, à l’arrière-plan, comme détachée de l’événement. Une idée inhabituelle supplémentaire qu’a eu l’artiste de ne pas la placer au pied de la croix, cas le plus fréquent.
Encore un tableau voyageur…
Notre série sur les grandes œuvres de nos églises nous fait découvrir combien l’installation des tableaux est loin d’être figée. De collection privée à une église, d’une église à une autre. Cette huile sur panneau de bois a, elle aussi, eu son lot de transferts, puisqu’elle était auparavant visible à Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Aucune trace ne subsiste de l’histoire de cette crucifixion avant un inventaire de 1827. Pour quelles raisons ce panneau d’un maître flamand, peint à la fin du XVIe siècle, s’est-il retrouvé dans une église parisienne ? Le mystère reste entier, d’autant que les spécialistes des Brueghel ne semblent pas s’être particulièrement penchés sur cette œuvre.
Sa qualité exceptionnelle lui a valu d’être envoyée à l’étranger pour des expositions. Sa dernière destination ? L’Italie. Avant de retrouver les murs de sa sacristie, cachée aux yeux de presque tous les visiteurs.