Le peintre vénitien Jacopo Robusti, dit "Il Tintoretto", francisé en "le Tintoret", a produit une œuvre abondante. Pourtant, on ne compte que six tableaux de sa main dans les collections françaises. Dont une seule est conservée dans une église, représentant la Cène. Cette Cène, on s’en serait douté, n’était pas destinée à Saint François-Xavier, située dans le VIIe arrondissement. L’église n’existait d’ailleurs pas en 1559, puisque la décision de la construire date de 1861.
L’œuvre a été commandée au Tintoret pour la Scuola del Santissimo Sacramento de l’église San Felice. À Venise, une scuola est une confrérie religieuse composée de laïcs, se regroupant par corporation, pour des œuvres de charité ou d’assistance mutuelle entre ses membres.
De nombreuses péripéties
Chaque scuola dispose de bâtiments pour ses réunions et les offices. Les plus grands sont ornés de tableaux ou fresques des plus connus des artistes de l’époque. Ici, l’inscription au bas de la toile donne le nom des membres du bureau de la scuola. D’ailleurs, peu de temps après sa livraison, la mauvaise gestion reprochée au responsable de la confrérie entraîna sa disparition du tableau. Il a suffi de le recouvrir et de le remplacer, mais il reste visible aux rayons X.
Les archives précisent qu’une restauration a eu lieu au début du XVIIe siècle. Le tableau est resté sur place jusqu’en 1818 pour être ensuite déposé dans un pensionnat de jeunes filles, à proximité de la scuola. Comment est-il arrivé en France ? Un achat certainement ? À Paris ou à Venise ? Il fit partie des collections de la Duchesse de Berry, avant de changer de mains. Sa dernière propriétaire l’offrit à la toute nouvelle église Saint-François-Xavier. La Cène du Tintoret, désormais exposée dans la sacristie des mariages, aura été une des toutes premières œuvres à orner le bâtiment.
Peindre la réaction des apôtres à l’annonce de la trahison
Jésus annonce qu’il sera trahi, et les disciples n’en reviennent pas. Ils se tournent, étonnés, vers leurs voisins. Et bouleversés au point, pour certains, de basculer en arrière, sous l’effet de la surprise.
La disposition est traditionnelle : les douze apôtres sont assis autour d’une table, le Christ à leur centre, pour partager ce qui sera son dernier repas. Ce repas est celui du Jeudi saint, au cours duquel Jésus institue l’eucharistie. Comme le rapporte l’évangéliste Marc, Jésus dit (Mc 14, 18-19) : "En vérité, je vous le déclare, l’un de vous va me livrer, un qui mange avec moi." Pris de tristesse, ils se mirent à lui dire l’un après l’autre : "Serait-ce moi ?" .
Pierre se penche vers Jésus, comme s’il lui demandait "Est-ce moi ?". Jean est à sa gauche et semble dormir ; Jésus pose sa main sur son épaule. Quel contraste avec le brouhaha que l’on devine !
Judas nous tourne le dos, ce qui nous permet de voir au premier plan la bourse qu’il tient serrée des deux mains, bourse qui contient les trente deniers de sa trahison. Il s’apprête à se lever, peut-être pour quitter la salle au plus vite, confirmant par son geste les paroles de Jésus. Les regards sont attirés par la lumière qui émane de Jésus, dont le nimbe en forme de croix éclaire la scène. Malgré la trahison, Il demeure celui vers qui les hommes se tournent.