Dans l’Histoire sainte, Abram est l’époux de Saraï, qui est stérile et qui ne peut donc offrir de descendance à son mari. Alors qu’il est âgé de soixante-quinze ans, le Seigneur l’appelle : "Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai"(Gn 12, 1). Avec sa femme, il quitte tout pour rejoindre Canaan, la terre que le Seigneur lui a indiquée, au prix d’une longue et pénible route. Dix ans après son arrivée, Saraï, désespérée de ne pouvoir offrir un fils à son mari, lui demande de s’unir à sa servante, Agar. "Quand elle se vit enceinte, sa maîtresse ne compta plus à ses yeux. Saraï dit à Abram : “Que la violence qui m’est faite retombe sur toi ! C’est moi qui ai mis ma servante dans tes bras, et, depuis qu’elle s’est vue enceinte, je ne compte plus à ses yeux.”» (Gn 16, 4-5). Jalouse, Saraï renvoie Agar dans le désert, où l’ange du Seigneur lui apparaît pour nommer son enfant, Ismaël (Gn 16, 11).
L’écriture reste silencieuse quant aux années qui suivent cet événement : lorsqu’Agar accouche d’Ismaël, il est dit qu’Abram a quatre-vingt-six ans et le chapitre suivant débute alors qu’il en a quatre-vingt-dix-neuf. C’est à ce moment précis que le Seigneur l’appelle :
"Lorsque Abram eut atteint quatre-vingt-dix-neuf ans, le Seigneur lui apparut et lui dit : “Je suis le Dieu-Puissant ; marche en ma présence et sois parfait. J’établirai mon alliance entre moi et toi, et je multiplierai ta descendance à l’infini.” Abram tomba face contre terre et Dieu lui parla ainsi : “Moi, voici l’alliance que je fais avec toi : tu deviendras le père d’une multitude de nations. Tu ne seras plus appelé du nom d’Abram, ton nom sera Abraham, car je fais de toi le père d’une multitude de nations.” » (Gn 17, 1-8).
Le nom porte le sceau de l’héritage
Dans la culture sémitique, le nom a une fonction primordiale : choisi par le père, c’est par lui que passe l’héritage. Le nom recouvre aussi une réalité métaphysique : dans la Bible, c’est en nommant que Dieu crée par une parole performative. Abram, dont le nom signifie en hébreu "le Père est élevé", reçoit de Dieu un nouveau nom : "Abraham".
Lorsqu’Il attribue à Abraham son nouveau nom, le Seigneur le dote ainsi d’une nouvelle vocation. C’est d’ailleurs ce que souligne Etty Hillesum dans ses carnets réunis dans Une vie bouleversée : appeler une chose par son nom, c’est "mettre à jour la réalité la plus nue des choses". Que manifeste alors ce nouveau nom pour Abram devenu Abraham ?
Celui-ci ne consiste en fait qu’en l’ajout d’une seule lettre, le « h », pour passer de אַבְרָם à אַבְרָהָם. Cette lettre n’est toutefois pas anodine, puisque le Hè [ה] est dans l’alphabet hébreu la lettre de Dieu : présente deux fois dans le tétragramme « יהוה » (YHWH), elle est le sceau du Seigneur. On la retrouve plusieurs fois dans la Bible, depuis Ève חַוָּה qui, contrairement à Adam אָדָם porte ce signe dans son nom pour manifester que c’est à elle, en tant que femme, de mener Adam à Dieu. Lorsqu’il reçoit son nouveau nom, Abraham devient donc littéralement "celui qui porte le signe de Dieu" pour manifester ainsi l’alliance nouvelle scellée avec les hommes.