"Théologien", le mot a été repris en boucle pour désigner Benoît XVI, dans une litanie qui se contentait de modifier l’adjectif : "réputé" pour Joe Biden, "immense" pour Sarkozy, "éminent" pour Zelensky, "grand" pour la conférence des évêques de France, "un des plus grands de son temps" pour l’archevêque de Canterbory, "brillant" mais "conservateur" pour Le Monde (tout est dans le "mais"), etc. La plupart se garde bien de définir "théologien". Le mot n’engage à rien, s’il désigne seulement un homme qui a fait de Dieu son objet d’étude. Il peut même suggérer, un brin sournois, qu’un grand théologien ne fait pas un grand pape, parce qu’un intellectuel n’est pas forcément un pasteur. Étudier Dieu ! Comme on étudie la grammaire allemande, le béton armé ou la reproduction des escargots ? Cela peut tenter un historien des religions, éventuellement un philosophe. Toutefois, cela n’a pas grand-chose à voir avec l’activité du théologien Joseph Ratzinger puis du pape Benoît XVI, pour qui Dieu ne saurait être un simple objet d’étude, puisqu’il est avant tout une personne à contempler.
La rencontre avec une Personne
Dans Cher Benoît XVI (Éd. de l’Emmanuel), hommage aussi rigoureux qu’affectueux, Alexia Vidot rappelle cette définition précieuse que le pape émérite donnait de l’activité du théologien : "Avec la vérité, puisque c’est une personne, nous pouvons collaborer. Il me semblait que c’était la définition authentique de la profession de théologien : celui qui a été touché par la vérité, celui qui a vu son visage, est maintenant disposé à se mettre à son service, à collaborer avec elle et pour elle." Théologien, parce que touché par une vérité qui a un visage ; théologien, donc serviteur. Telle est la logique que révèle à chaque page la plume d’Alexia Vidot, avec pour fil rouge les mots lumineux du pape émérite dans Deus caritas est : "Nous avons cru à l’amour de Dieu : c’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie. À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive."
Aide-moi à comprendre ta Parole, ce que tu veux me dire dans cette page."
Mots lumineux, oui, et qui, en l’occurrence, ont illuminé Alexia Vidot aux jours de sa conversion, lorsque, enfant de son siècle, elle s’est découverte fille du Père et, du même coup, petite sœur de ce Benoît XVI auquel elle adresse aujourd’hui onze lettres, à la place de celle qu’elle n’a jamais osé lui envoyer de son vivant. Onze lettres, onze chapitres, onze discours publics de Benoît XVI (homélies ou audiences générales). Les onze thèmes sont habilement tirés de l’homélie de la messe inaugurale du pontificat, le 24 avril 2005, qui contient en germe tous les développements futurs : "Fragile serviteur de Dieu", "Il est lui-même amour", "L’Église est vivante. Et l’Église est jeune", "L’expérience de la joie"... Autant de citations reprises comme titres, qu’on médite en appréciant à la fois l’acuité du choix et le chemin d’Espérance qu’elles tracent.
L’intention est simple : ne pas "perdre une quelconque miette des huit riches années" du pontificat, dans la certitude que le pape théologien n’a pas prononcé une seule phrase sans chercher à se mettre au service de la vérité qui veut révéler son visage à tous. En 2011, Benoît XVI eut cette formule d’une simplicité cristalline, prouvant que l’humilité rejaillit dans l’écriture elle-même : "Le monde d’aujourd’hui a besoin de personnes qui parlent à Dieu, pour pouvoir parler de Dieu." De même, aux jeunes du diocèse de Rome, il expliquait : "On ne lit pas l’Écriture dans un climat académique, mais en priant et en disant au Seigneur : “Aide-moi à comprendre ta Parole, ce que tu veux me dire dans cette page”." Devant une telle affirmation, on est tenté de penser que le théologien est le parfait contraire de l’intellectuel...
Collaborateurs de la Vérité
Que l’amour de Dieu soit compris, que la vérité soit accessible, que la splendeur de son visage soit aussi peu brouillée que possible, telle était la pensée constante de ce théologien amoureux du Christ, formule qui relèverait sans doute du pléonasme à ses yeux. Sa reconnaissance envers saint Augustin était du même ordre, plus que tout une dévotion personnelle pour "un des plus grands convertis de l’histoire chrétienne".
Fidèle à son grand frère pape, né soixante ans jour pour jour avant elle, Alexia Vidot ne le cite abondamment que pour collaborer à sa suite à la vérité rencontrée comme une personne vivante. On admire notamment la façon dont elle rend compte du parfait équilibre des paroles de Benoît XVI, sans jamais chercher à les tirer vers une théorie qu’elle préférerait ou une spiritualité qui aurait sa faveur. Les rares passages où elle semble élever un peu la voix ne visent qu’à faire entendre plus nettement une idée du pape émérite. Par exemple, dans son beau chapitre intitulé "Comme des mendiants dans notre prière", quand elle précise judicieusement que "prier n’est pas une énième méthode de développement personnel, une bonne pratique pour augmenter son petit bien-être égoïste, ni une astuce pour faire le vide en soi", elle fait retentir les salutaires mises en garde papales contre les fausses routes qui font rater la rencontre.
Benoît XVI était persuadé que la bonté des saints ignorés, puisée et “mûrie dans la foi de l’Église”
L’Église des doux
Sans passer entièrement sous silence certaines polémiques, Alexia Vidot montre surtout qu’elles tombent d’elles-mêmes dès qu’on se plonge honnêtement dans les écrits de Benoît XVI. Un par un, les clichés s’effondrent, sans qu’il y ait besoin de coup de poings ou d’effets de manche. Pour signaler l’impasse d’une lecture aux allures de guerre de tranchées entre "progressistes" et "réactionnaires", elle rappelle les deux questions cruciales que Benoît XVI invitait chacun à se poser en conscience : "Où la foi peut-elle et doit-elle s’approprier les formes de la modernité ? Et où doit-elle leur opposer de la résistance ?" À l’issue de ce parcours très riche et très clair, on a le sentiment que la journaliste de La Vie applique naturellement la certitude que lui a transmise son pasteur : "Que la vérité ne parviendra pas à régner par la force, mais par son propre pouvoir, c’est le contenu central de l’évangile selon saint Jean." Ni par la force, ni par des stratégies de communication, ni par des nouveaux plans pastoraux, mais par "une Église de la foi" et "une Église des doux", sur laquelle s’achève l’ouvrage. Car Benoît XVI était persuadé que la bonté des saints ignorés, puisée et "mûrie dans la foi de l’Église", était "la plus sûre apologie du christianisme et le signe qui indique où se trouve la vérité". L’humilité, sans doute, contient plus de théologie que bien des traités savants.
En onze lettres, Alexia Vidot nous fait donc vivre une véritable retraite avec Benoît XVI, accompagnant le lecteur-retraitant avec autant de justesse que de discrétion. On la suit d’ailleurs sans hésiter quand elle donne une place particulière aux mots par lesquels le pape mit fin, avec un doux sourire, aux applaudissements qui marquèrent sa dernière messe en tant que pape : "Merci... Retournons à la prière." Voilà un conseil pontifical qu’Alexia Vidot sait transmettre mieux que tout autre et que le lecteur ne peut que lui adresser à son tour en refermant son livre.
Pratique :