Il est bon de se plier aux usages anciens, même lorsqu’ils risquent d’être un peu trop formels. Les vœux de fin d’année, ou plutôt de nouvelle année, sont de cette sorte. Ils risquent bien d’être, dans la plupart des cas, moins sincères qu’ils ne déclarent l’être, mais ils ont le mérite de reconnaître la présence de l’autre et d’avoir à son égard, au moins pour un court instant, un regard favorable. Il vaut la peine de s’atteler à ce devoir, parfois fastidieux, d’envoi de cartes de vœux, car, ainsi, nous demeurons unis à des personnes qui, le reste de l’année, n’occupent guère nos préoccupations.
Dans le secret de nos cœurs
Jules Renard, avec son humour habituel, rapporte ce dialogue imaginaire : "Je vous apporte mes vœux. — Merci, je tâcherai d’en faire quelque chose" (Journal, 28 janvier 1901). Nul ne sait, à l’exception de l’intéressé, ce que nos vœux deviennent lorsqu’ils atteignent leur destination. Il est possible que certains les négligent et les jettent aussitôt, indifférents, mais, généralement, ils introduisent de la chaleur humaine. Ils ne sont pas les messagers de choses mauvaises car, si d’aventure on souhaitait le pire pour son prochain, on ne prendrait pas la peine de lui envoyer des vœux, mais on l’accablerait d’injures ou d’anathèmes. En revanche, les vœux secrets que nous formulons hélas de temps en temps dans l’intime de nos cœurs ou dans une prière dévoyée, peuvent être chargés de mauvaises intentions. Épicure écrivait déjà : "Si les dieux voulaient exaucer les vœux des mortels, il y a longtemps que la terre serait déserte, car les hommes demandent beaucoup de choses nuisibles au genre humain" (Doctrines et Maximes).
À force de répéter à l’unisson, à la suite de nos aïeux, des vœux jugés conformistes, notre cœur s’ouvre et nous abandonnons, sans vraiment nous en rendre compte, une grande partie de notre endurcissement.
Les souhaits que nous distribuons autour de nous en début de chaque nouvelle année du Seigneur, qu’ils soient distraits ou bien aussi sincères que nous l’affirmons, ne recherchent point le malheur de nos amis, et pas même celui de nos ennemis ou des personnes qui nous laissent de marbre. Nous n’oserions pas aller jusque-là et nous attirer, ne serait-ce que par superstition, la colère divine ! Comme quoi, le moindre mot nous façonne, sans que nous y prenions garde. À force de répéter à l’unisson, à la suite de nos aïeux, des vœux jugés conformistes, notre cœur s’ouvre et nous abandonnons, sans vraiment nous en rendre compte, une grande partie de notre endurcissement.
Ces vœux pieux qui tombent à plat
Ceci dit, nous pourrions alors personnaliser davantage les vœux adressés à chacun, selon ce qu’il lui serait nécessaire spirituellement. Ne nous contentons pas d’un vague et médiocre « bonne santé » car que recouvre vraiment une telle formule toute faite ? Georges Bernanos a ces mots dans Le Dialogue des Carmélites : "Désirer la mort en bonne santé, c’est se remplir l’âme de vent, comme un fou qui croit se nourrir à la fumée d’un rôti." Le rempart de la santé que notre société oppose à la mort, pensant ainsi l’impressionner, est une défense trompeuse. Nous savons bien que des vœux pieux ne suffisent guère à nous rendre invincibles, et que chaque année éclaircit les rangs — et les renouvelle aussi en partie dans le meilleur des cas. Face à nos amis vraiment malades, le « Bonne année, bonne santé ! » risque bien de tomber à plat ou d’être indélicat. Il serait préférable que nos vœux soient alors de véritables soutiens dans l’épreuve, et leur contenu doit se transformer en cadeau spirituel.
Nous sommes généralement peu sages pour nous-mêmes et nous espérons ce qui ne nous convient pas forcément.
Trop souvent les plus cyniques considèrent qu’au mois de janvier au cours duquel les vœux les plus plats sont prononcés, succèdent onze autres mois où ils ne se réaliseront point. Si nos vœux étaient ancrés dans notre foi, alors des montagnes pourraient être déplacées. Certes, le véritable bonheur ne réside pas dans le fait que tous les vœux se réalisent. Nous sommes généralement peu sages pour nous-mêmes et nous espérons ce qui ne nous convient pas forcément. Charles Perrault a d’ailleurs souligné le trait dans son ouvrage justement intitulé Les Souhaits ridicules : "Et comme ton bonheur dépend tout de tes vœux, songes-y bien avant que de les faire." Ne prenons pas à la légère cette coutume car ses conséquences et son efficacité dépendent du contenu que nous lui accordons.
Nos vœux ancrés dans la foi
Les premiers mots du Journal de Paul Claudel en 1909 sont les suivants : "Une grande année toute blanche devant moi." Cette blancheur est en écho aux blancheurs de la foi. Faire tout son possible pour l’entretenir et la conserver, voilà un vœu que chacun doit formuler pour les autres, ceci dans un monde qui préfère embrasser de très près les ténèbres. Léon Bloy, qui toucha sans cesse du doigt les crevasses les plus vertigineuses, constate, dans Le Désespéré : "Tout est avachi, pollué, diffamé, mutilé, irréparablement destitué et fricassé, de ce qui faisait tabernacle sur l’intelligence." La blancheur risque de périr lorsque les esprits et les âmes s’attiédissent, s’appauvrissent, et dégringolent. Un vœu puissant serait que chaque catholique réagisse, se retrousse les manches et s’attelle à restaurer la blancheur, à la fois pour lui-même et pour son pays. Notre bilan de santé est critique, de plus en plus, tandis que nous sommes au seuil du vote de nouvelles lois mortifères et que des idéologies perverses rongent sans se lasser les quelques structures qui se dressent encore dans un paysage ravagé. Le constat de la réalité ne doit pas démobiliser mais au contraire agir comme une aiguillon pour que le sursaut soit salutaire. Trop de voix, parmi les plus officielles, martèlent que l’inéluctable règne en maître.
Lorsque nous présentons des vœux pour une année nouvelle, nous ne plions pas l’échine en considérant que tout est joué d’avance.
Par nos vœux ancrés dans la foi, nous réaffirmons que l’avenir sans alternative ne peut pas être imposé. Le catholique ne croit pas en la fatalité. Le travail du monde est d’interdire l’éventualité d’une renaissance. Lorsque nous présentons des vœux pour une année nouvelle, nous ne plions pas l’échine en considérant que tout est joué d’avance. L’année civile prend sa source dans la période de Noël et des fêtes qui lui sont liées, tandis que l’année liturgique l’a précédée par l’Avent. Elle fait donc ses premiers pas au sein de ce mystère de l’Incarnation qui délivra le monde des liens du péché. Elle pousse ses premiers vagissements dans le berceau de la Rédemption. En s’enrôlant sous l’étendard de la Croix, chaque année nouvelle est bien un an de grâce donnée par Dieu lui-même, comme le reconnaissaient naturellement nos anciens. Empruntons un chemin identique au leur afin que nos vœux ne soient point des coquilles vides mais au contraire des signes d’encouragement et d’espérance pour que Dieu règne vraiment dans nos cœurs.