Il y a un plus d’un an, dans la nuit du 9 au 10 novembre 2020, après près d’un mois et demi de conflit dans l’enclave du Haut-Karabakh, peuplée et défendue par les Arméniens, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont signé un accord de cessez-le-feu. Une situation qui, si elle fait beaucoup moins de bruit médiatique, demeure dramatique. De retour d’un déplacement en Arménie, Marco Mencaglia, responsable au sein de l’AED des projets dans le pays, décrit la situation et les difficultés auxquelles doit faire face l’Église locale. "Dans un tel contexte, il est compréhensible que l’Église se consacre à une intense activité sociale en faveur des plus faibles pour offrir un espoir, une alternative à l’abandon de leur pays natal", détaille-t-il.
L’Arménie est un pays paléochrétien qui forme aujourd’hui une enclave chrétienne dans un environnement islamiste de plus en plus hostile. Comment se passent les relations avec la Géorgie ?
Marco Mencaglia : La Géorgie et l’Arménie partagent des frontières, mais sont des pays complètement différents en ce qui touche leur histoire, leur culture, leur langue et leur alphabet. Néanmoins, à l’échelle cléricale, nous pouvons constater plusieurs points communs : l’Église catholique y constitue une petite minorité. Leur présence institutionnelle est relativement jeune, mais elles fournissent un travail exceptionnel dans le domaine social à travers l’organisation Caritas et les communautés religieuses. Dans les deux pays, l’héritage de la foi chrétienne est d’une exceptionnelle richesse : dès le IVe siècle de notre ère , l’Arménie et la Géorgie étaient les premières nations du monde à adopter le christianisme comme religion d’État. D’après une statistique actuelle (Pew Research, 2018), les deux pays occupent toujours la première place parmi 34 pays européens au niveau du nombre de fidèles adultes par rapport à l’ensemble de la population, et ce malgré l’avancée de la sécularisation. De fait, les deux pays sont soumis à une pression constante après les graves conflits armés en Abkhazie et en Ossétie du Sud, tout comme après ceux qui se sont déroulés récemment dans l’Artsakh. Les pertes dramatiques en vies humaines et la gestion des immenses flots de réfugiés ont causé de graves difficultés aux gouvernements respectifs.
Quel est le plus grand défi auquel doit faire face l’Église arménienne ?
En Arménie, l’Église catholique est presque exclusivement présente dans les régions du nord-ouest du pays ainsi que dans certaines communes du sud-ouest de la Géorgie, au-delà de la frontière. Ce sont des contrées pauvres et inhospitalières situées à plus de 2.000 mètres d’altitude, où les hivers sont très rudes et durent jusqu’à six mois. Le taux de chômage est très élevé, et pour de nombreuses personnes, l’émigration définitive ou saisonnière dans les pays voisins constitue la seule option viable. Dans un tel contexte, il est compréhensible que l’Église se consacre à une intense activité sociale en faveur des plus faibles pour offrir un espoir, une alternative à l’abandon de leur pays natal.
Par rapport aux véritables besoins des fidèles, le nombre de prêtres et de religieux est assez limité.
L’Église s’engage également pour encourager les nouvelles vocations, car par rapport aux véritables besoins des fidèles, le nombre de prêtres et de religieux est assez limité. Aussi peu que l’Église catholique géorgienne, l’Église d’Arménie ne dispose d’un propre séminaire, les étudiants sont donc répartis sur différents séminaires en Europe occidentale. Le projet de création d’un séminaire à Gyumri, le siège épiscopal, est momentanément bloqué faute de moyens.
L’Arménie a non seulement vécu un génocide, mais aussi subi des cataclysmes – le terrible tremblement de terre de 1988 – et elle a récemment été bouleversée par l’expulsion des Arméniens de l’Artsakh, une autre catastrophe d’origine humaine...
Le séisme de 1988 a touché exactement les régions du nord-ouest du pays habitées par les catholiques. Comme je l’avais évoqué, la réponse de l’Église dans le domaine social a été très importante. La crise récente était naturellement liée à l’accueil des familles réfugiées de l’Artsakh. Dans la situation d’urgence qui régnait à l’automne 2020, il s’agissait de plus de 90.000 personnes. La première année après le conflit, le réseau de soutien international a pu couvrir les besoins les plus urgents. C’est maintenant que se posent les problèmes, alors que les regards du monde ne sont plus tournés vers l’Arménie et que le flux d’aide a drastiquement diminué. De nombreuses familles chrétiennes ont tout perdu. La grande majorité d’entre elles sont des mères élevant seules leurs enfants, qui vivent toujours dans la précarité.