De Dadivank ( monastère passé sous le contrôle de Bakou) à Saint-Jean de Meghri ( église à la frontière Iranienne), malgré les pressions, les sanctuaires chrétiens ne renoncent pas.Elles ont fait le tour du monde, les images de pèlerins et de soldats arméniens, à genoux, venus prier une dernière fois au monastère de Dadivank, le 12 novembre dernier. Trois jours après les accords de cessez-le-feu qui ont mis fin à la deuxième guerre du Haut-Karabakh, 70% du territoire a officiellement été “volé”, ou “rendu”… selon que l’on se trouve du côté des vainqueurs ou de celui des vaincus, à Bakou la fanfaronne, ou à Stepanakert l’humiliée. Fondé aux premières heures de la chrétienté par saint Dadi, le monastère est aujourd’hui de l’autre côté de la frontière et de l’Histoire : il est en Azerbaïdjan. Mais il n’est pas azéri. Toujours géré par le clergé arménien — et même si Bakou ne cache pas espérer lui substituer une ethnie qui lui est loyale, sous protection (très rapprochée) russe, Dadivank tient bon.
L’histoire de Dadivank est connue, suivie par les médias du monde entier ; elle est le symbole de l’inquiétude – c’est peu dire – de la communauté internationale quant à l’avenir du patrimoine arménien passé sous contrôle azéri. Mais des Dadivank, églises, monastères séculaires ou simples croix de pierres plantés dans les montagnes d’Artsakh comme au cœur de chaque arménien – “Nous sommes nos montagnes”, dit la célèbre sculpture de Stepanakert devenue le symbole de la République auto-proclamée, il y en a d’autres et des centaines. Dans les fameux 70% “rétrocédés”, mais aussi dans les 30% restant, et surtout tout au long des frontières, si poreuses, entre l’Azerbaïdjan et le Karabakh et entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
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Dans le cône sud de l’Arménie, blottie dans le lit de l’Araxe, la rivière qui fait frontière entre l’Iran et l’Arménie, la ville de Meghri (littéralement “miel”, en arménien) est une ville typique de la région du Syunik : des montagnes, des vergers, des abeilles, des constructions soviétiques… et des églises du XVIIe siècle. La ville de 4.700 âmes en compte trois : Sourp Astvatsatsin (Sainte-Mère-de-Dieu), Sourp Sargis (Saint-Serge) et Sourp Hovhannes, (Saint Jean). Sur les nefs et les travées de cette dernière, le temps et les guerres sont passés. À bout de souffle, épuisé de résister, l’édifice menace aujourd’hui de s’effondrer. Mais, soutenue par des ONG françaises, Saint Jean de Meghri n’a pas encore dit son dernier mot.
Depuis début février, L’Œuvre d’Orient, en lien avec l’association Terre et Culture, a mis en place avec la plateforme Dartagnans une levée de fonds. L’objectif ? Redonner à l’édifice sa splendeur d’hier. Rouvrir ses portes aux habitants, aux pèlerins. Et, à tous ceux que la disparition des traces obsède, ceux-là qui ont le “fantasme maladif du territoire sans Histoire, du présent sans passé et du Soi sans l’Autre” écrit le journaliste et écrivain Pascal Maguesyan, réaffirmer le droit d’exister, d’avoir existé et d’exister demain des Arméniens. Témoigner, encore, et partout sur ces terres chrétiennes ; dans chaque pierre et sur chaque clocher, de l’Histoire, de la culture et de la foi des Arméniens. Car oui, “les turcs ont passé là” comme l’écrivait (déjà) Hugo (à propos de la Grèce) dans Les Orientales ; mais non, “tout ne sera pas que ruine et deuil”.