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JO de Paris, du loufoque dans la fête

Cérémonie d'ouverture des JO 2024 à Paris.

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Jean Duchesne - publié le 06/08/24
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Le show somptueux qui ouvrait les Jeux olympiques (JO) le 26 juillet, a épaté, en imposant parfois un comique de l’absurde. Si amalgames et confusions n’ont pas manqué, analyse l’essayiste Jean Duchesne, le projet était clair, mais non sans contradictions.

En anglais, un dicton répandu assure que "la beauté se trouve dans l’œil du spectateur", et non dans l’objet regardé. L’origine de cette maxime n’est pas claire. D’après les spécialistes, la plus ancienne formulation exacte dans la forme universellement retenue pour sa simplicité apparaît en 1878 dans Molly Bawn, roman sentimental de Margaret Wolfe Hungerford (1855-1897), veuve irlandaise elle-même trop tôt emportée par une fièvre typhoïde après avoir produit en série de la littérature populaire afin de nourrir ses enfants. Mais la même idée est déjà énoncée avec un réalisme mercantile dans Peines d’amour perdues (1595) de William Shakespeare (1564-1616) : "C’est l’œil qui donne à la beauté du prix." On peut citer aussi le philosophe écossais David Hume (1711-1776) dans ses Essais moraux et politiques (1742), où il écrit avec l’empirisme sceptique qui caractérise sa démarche : "La beauté des choses n’existe que dans l’esprit qui les contemple."

Une diversité qui exclut ?

Étant donné la variété des esprits, le même adage peut aider à prendre la mesure des polémiques suscitées par la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques (JO) de Paris. En l’occurrence, les tensions se déploient dans l’espace creusé par deux décalages : d’une part entre les intentions des concepteurs et ce qu’ils ont réalisé ; d’autre part entre ces réalisations et ce qu’y ont vu les spectateurs, dont les yeux n’avaient évidemment pas tous les mêmes lunettes ni les mêmes outils d’analyse. Il faut se hâter de préciser que les récriminations n’ont porté que sur certaines scènes, la plupart étant par ailleurs soit appréciées pour ce qu’elles évoquaient ou bien comme réussites techniques et formelles, soit peu compréhensibles.

Le projet était assez clair, mais contradictoire. On le retrouve sur le site internet officiel des Jeux. Le directeur artistique annonce son choix de présenter non pas (comme on aurait pu s’y attendre) la ville (Paris) organisatrice de ces Jeux, mais le pays-hôte tout entier : "Je veux surtout que cette cérémonie intègre tout le monde. Nous devons tous célébrer cette diversité." Dans la foulée, il affirme cependant vouloir, en sens inverse, "défaire les clichés", autrement dit démolir et refaçonner "l’idée que tout le monde en France et dans le monde a de ce que la France est". Ce qui était jugé "cliché" était donc exclu de la diversité intégrée, et ce qui était jusque-là marginal ou absurde pouvait en revanche être inclus et valorisé à discrétion.

Puisque Notre-Dame ne méprise pas le cirque…

Il est sûr que l’entreprise imposait des choix qu’il n’y avait pas la place ni le temps de justifier. Mais il n’est pas sûr que les implications de cette sélection aient toujours été perçues, et déjà par les décideurs eux-mêmes. On a pu avoir l’impression que le principal critère était d’épater, sans se soucier d’exactitude, de cohérence, d’intelligibilité, ni de la multiplicité et de la fragilité des références accessibles au public pour interpréter les tableaux se succédant à un rythme soutenu. Après tout, des jeux sont faits pour s’amuser, et pas pour rester sérieux…

Redéfinir l’identité nationale supposait une prise en compte du passé. Les monuments historiques sur les rives de la Seine auraient pu y aider.

Par exemple, redéfinir l’identité nationale supposait une prise en compte du passé. Les monuments historiques sur les rives de la Seine auraient pu y aider. Mais il est plutôt ressorti que la France n’est née qu’avec sa Révolution. La seule allusion à une époque antérieure a été un hommage à ceux qui ont fait et refait Notre-Dame, représentés en funambules. On ne reconnaissait guère en ces acrobates ceux qui depuis des siècles ont travaillé sur la cathédrale. Mais un esprit bienveillant et un peu instruit pouvait conjecturer un rappel du Jongleur médiéval dont, selon la légende, la Sainte Vierge ne méprise point le numéro d’artiste forain.

Humour de potaches

Les scénaristes du show ont-ils eu ce souvenir en tête ? Certains spectateurs y ont-ils pensé ? C’est douteux. Il y a en revanche bien été remarqué çà et là que la pourtant peu rassembleuse Terreur révolutionnaire était exaltée, dans une scène où une femme (la reine Marie-Antoinette ?) tenait entre ses mains sa tête coupée qui chantait : "Ah, ça ira, ça ira, les aristocrates, on les pendra." On reste perplexe : une dame décapitée annonçait (avec entrain, mais à tort !) que ses semblables subiront un sort différent, mais pas tant que ça : juste moins "moderne", puisqu’ils (et elles) seront pendu(e)s… Humour macabre de potaches en fête ?

Pas grand monde n’a dû s’aviser que cette guillotinée si élégamment coiffée reprenait la posture des nombreux saints céphalophores — portant (phoros) leur tête (képhalê) tranchée — de l’hagiographie chrétienne, le plus célèbre étant saint Denis, premier évêque de Lutèce. On pouvait donc, avec un brin de culture et de mémoire, voir là un rappel de la naissance de l’Église à Paris, et même — n’ayons peur de rien — le label du martyre décernable à quantité de supplicié(e)s à la chaîne "en haine de la foi" à partir de 1792. Il est toutefois peu probable — empressons-nous de l’admettre — que les concepteurs du spectacle aient été cherché si loin et que le public ait eu les ressources culturelles permettant de procéder à un tel décodage.

Olympe étrangère à l’olympisme

Le même phénomène transparaît dans la célébration du féminisme, "sororité" s’ajoutant à "liberté, égalité, fraternité". Une des figures honorées était Olympe de Gouges (1748-1793), auteur en 1791 d’une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, et apôtre de l’abolition de l’esclavage des Noirs. C’est pour faire carrière qu’elle s’est attribuée une particule et un prénom qui n’avait bien sûr rien à voir avec les Jeux, avant de s’engager dans la Révolution ; mais, opposée à l’exécution de Louis XVI, elle fut envoyée à l’échafaud. Elle fait donc partie de ces têtes coupées qui chantaient "Ah, ça ira…". C’est plus qu’un détail, et c’est resté subliminal — sans qu’on sache si cette occultation n’était due qu’à l’ignorance.

Omissions, approximations, amalgames et confusions (volontaires ou non) n’ont donc pas manqué — ainsi l’exhumation de la mythologie païenne antique. Ce n’est pas du tout ce dont rêvait le baron de Coubertin, et c’est bien enterré aujourd’hui. C’est pourquoi, même si l’on reconnaissait Bacchus dans le chanteur dodu, déshabillé et peint en bleu qui célébrait la nudité, on se demandait ce qu’il venait faire là. C’est pourquoi aussi le tableau censé rappeler le festin des dieux sur l’Olympe a fait penser au dernier repas du Christ avec ses disciples. Le fait méconnu dans la mise en scène est que — sécularisation ou pas — la Cène demeure enracinée dans l’imaginaire populaire, mais pas les banquets présidés par Jupiter.

Arbitraire

Ce qui a fait crier à l’iconoclasme est la présence de drag-queens dans ce tableau animé. C’était arbitraire, car il n’y en a pas plus dans le folklore gréco-romain que dans le légendaire chrétien. Mais cela a réussi l’exploit de réunir en un chœur protestataire des personnalités aussi peu compatibles entre elles que le milliardaire américain Elon Musk, le président turc Recep Tayyip Erdogan, Jean-Luc Mélenchon et des évêques. 

On devine qu’inviter des sexualités "non binaires" à occuper le devant de la scène était tenu là pour un moyen et même un critère d’ "intégration de tout le monde". Mais soutenir qu’il n’est pas obligatoire, pour faire partie de "tout le monde", d’être friand de ce genre de prestation, ce n’est pas être qui-que-ce-soit-phobe. Il y a bien d’autres exclus et l’efficacité de cette stratégie reste à démontrer. La clôture des Jeux sera bientôt un nouveau test, puis les festivités de début et fin des Jeux paralympiques. Sursum corda ! Il y aura d’autres occasions d’admirer et de s’étonner — parfois sans pouvoir réprimer un sourire face au loufoque.

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