Quel nez ! Celui de Kylian M’Bappé semble sur le point d’entrer dans l’histoire. Faute de Cléopâtre, nous voici convoqués à nous préoccuper de l’appendice de notre Cyrano moderne. Le destin de la France se joue-t-il sur un nez ? Bien malin en tout cas qui pourra flairer l’avenir et en prédire les soubresauts. La coque protectrice sera bien aux couleurs du moment : tricolore. Le bleu, le blanc et le rouge portées haut et fier par notre joueur national, en cocarde nasale.
Amusant de constater en énumérant ces couleurs qu’elles reprennent celles, symboliques, des forces politiques en présence : le bleu de la droite, le rouge de la gauche avec leurs nuances plus ou moins adoucies ou criardes. Et puis le blanc, qui n’est pas une couleur mais plutôt une nuance. Comme le noir d’ailleurs. L’un et l’autre modifient les couleurs, les éclairant ou les assombrissant. Le 17 juillet 1789, La Fayette accrocha à la boutonnière de Louis XVI, à l’Hôtel de Ville de Paris, une petite chose fragile : "Sire, je vous apporte une cocarde qui fera le tour du monde !" Le blanc de la monarchie, le bleu et le rouge de Paris, "alliance éternelle entre le monarque et le peuple". Un peuple bien vivant qui ne cesse depuis lors de rechercher qui incarnera ce blanc, seul capable de ne pas empêcher les autres couleurs de déborder de trop. Un peuple capricieux qui précipite tout nouvel élu, à peine celui-ci installé, des sommets du Capitole jusqu’en bas du précipice. Un peuple batailleur qui parle fort mais qui se laisse aussi facilement émouvoir.
Quand on ne dit pas les choses
Comme ce fut il y a quelques jours au sujet de la victoire aux championnats des Pays-de-la-Loire de rollers du jeune Jakub Kotwica, âgé de 9 ans. Aussitôt monté sur la plus haute marche du podium et aussitôt déclassé car dénoncé par un club rival comme non-Français. Né à Paris de parents polonais, il lui faudra attendre sa majorité pour, s’il le désire, intégrer pleinement la communauté de son pays natal. L’affaire peut paraître dérisoire mais elle dit bien les impasses dans lesquelles une politique élaborée au jour le jour, sous le coup de l’émotion et dans le non-dit, nous mène collectivement.
Il n’y a pas d’homme providentiel, même s’il nous est difficile de l’admettre. Étonnant, là aussi, que tant de baptisés soient encore en recherche de celui qui sauve.
On peut en effet décider que les concurrents d’une épreuve sportive doivent tous être français, mais alors comment se fait-il qu’on y laisse s’y engager des étrangers ? Et c’est là tout le paradoxe : à force de ne pas dire clairement les choses et de ne pas envisager les conséquences pratiques et prosaïques dans lesquelles nous engagent nos décisions collectives, on avance en aveugles. On affiche l’ouverture et on agit durement. On se réclame de la sévérité et on ne cesse d’y apporter des exceptions...
La nuance de la conscience
Dans les jours qui viennent, nul doute que le rouge et le bleu se teinteront de noir, obscurcissant les pensées et les cœurs, et peut-être même l’horizon. Qui permettra au blanc de redonner aux deux couleurs leurs teintes fraîches et vives ? Il n’y a pas d’homme providentiel, même s’il nous est difficile de l’admettre. Étonnant, là aussi, que tant de baptisés soient encore en recherche de celui qui sauve. Ne savent-ils pas qu’il est Celui qui porte la lumière et que celle-ci vient à bout de toutes ténèbres ? Et qu’il est ainsi de notre responsabilité de maintenir la nuance du blanc là où beaucoup cherchent à l’étouffer. Car elle répond aux colères par la tempérance, aux vengeances par la justice, aux replis sur soi par la fraternité, aux scénarios simplistes par la sagesse. Avec le panache de ceux qui savent que le vrai courage consiste à se mettre à l’écoute de sa conscience et à maintenir le cap sur ce qu’elle nous révèle de juste.