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Législatives 2024 : “Il n’y a pas de vote catholique mais des votes catholiques”

Tableau électoral dans les Pyrénées Orientales.

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Cécile Séveirac - publié le 21/06/24
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À l'approche des élections législatives, Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris Panthéon-Assas, détaille pour Aleteia les grands enjeux du scrutin à venir, notamment pour les catholiques.

Plus de dix jours après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, l'incertitude demeure. Où se porteront les voix des catholiques ? Le pays se prépare-t-il à affronter une crise politique majeure ? "Il n'y a pas de vote catholique mais des votes catholiques, ce qui complexifie le paysage politique", détaille auprès d'Aleteia Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris Panthéon-Assas.

Aleteia : Un sondage publié par La Croix démontre que les catholiques ont placé la liste de Jordan Bardella en tête de leurs suffrages avec 37% des voix, contre 14% en 2019, lors des élections européennes. Cette percée du Rassemblement National (RN) dans le vote catholique peut-elle se reproduire aux élections législatives ?
Benjamin Morel : Il est envisageable que les grandes tendances de ce vote se reproduisent, mais avec des nuances néanmoins. Le vote catholique concerne plutôt une forme de droite patrimoniale et âgée, qui peut pencher entre un vote RN, LR et macroniste. Dans le cadre des européennes, les enjeux sont moindres, là où pour les élections législatives il y a des enjeux de gouvernabilité, ce qui peut faire revenir le vote catholique vers le centre-droit. Mais ce phénomène aura certainement lieu à la marge; dans les grandes lignes, il y aura sûrement un effet de conservation. La forte probabilité est celle d'un second tour Gauche-RN, où le vecteur centriste ferait office de balance. Cette partie de la population peut être tentée de voter RN en raison d'une porosité des valeurs qui est aujourd'hui beaucoup plus grande, notamment en matière d'identité et d'immigration, mais aussi parce que le RN est en train de donner des gages pour le second tour en revenant sur beaucoup de ses positions sociales et économiques. Cet électorat plutôt au centre, qui comprend une droite chrétienne ou une droite patrimoniale justement, peut balancer vers le RN.

Le régime actuel est assez souple : il peut fonctionner comme régime parlementaire, ou au contraire hyper-présidentiel, son adaptabilité peut le faire tenir.

Quel est le bloc le plus fédérateur pour un catholique, et au contraire le plus repoussoir ?
Il n'y a pas un vote catholique mais des votes catholiques. Il est donc compliqué de savoir quel est le bloc idéal. Le vote catholique de gauche existe, même s'il est aujourd'hui un peu perdu puisqu'il est originellement plutôt social-démocrate et ne se tourne donc pas facilement vers la gauche actuelle. De la part de ces électeurs-là, il y a une forme d'hésitation car ils ne savent pas forcément vers qui se tourner. Il y a aussi un vote catholique conservateur de droite, qui se retrouve dans une droite marion-maréchaliste ou LR avec la porosité que l'on a évoquée et qui auront moins de mal à se retrouver dans le RN aujourd'hui.

L'option préférentielle pour les pauvres, la dignité humaine, ou encore la recherche du bien commun sont des critères traditionnels du vote catholique. Sont-ils obsolètes ou peuvent-ils être encore opérants au regard de l’offre politique ?
Ces critères n'ont jamais été très opérants puisqu'ils vont être lus et relus au regard de l'orientation politique des votants. La conjugaison entre foi et vote peut-être différente selon les profils. Pour une bonne partie des électeurs catholiques de gauche, voter RN est tout simplement inenvisageable et ne peut se concevoir, de la même manière que pour une grande partie des électeurs catholiques de la droite et de l'extrême-droite, un certain nombre de valeurs portées par la gauche actuelle et progressiste sont tout à fait inaudibles, notamment en ce qui concerne les questions de mœurs ou d'éthique. C'est valable partout, et pas uniquement en France. Il suffit d'écouter les propos du Pape sur l'immigration qui sont très mal passés dans certains pays, comme l'Autriche par exemple où l'un des leaders de l'extrême-droite s'est converti au protestantisme (Norbert Hofer), considérant qu'il devait reprendre sa liberté vis-à-vis de l'Église. Même si ces sujets peuvent être structurants dans le vote, ils peuvent être altérés par une réorganisation des croyances ou des opinions personnelles.

Le catholicisme a toujours été un outil de dialogue et de conciliation entre des partis contraires.

Les évêques de France n'ont pas donné de consignes de vote aux catholiques. Est-ce normal et audible ? Est-ce une façon d'anticiper un chaos prévisible ?
Je ne sais pas si c'est audible et s'il faut que l'avis des évêques ait une valeur prescriptive. Mais ce positionnement est plutôt nécessaire pour l'épiscopat, tout d'abord parce qu'on ne sait pas qui sera au pouvoir au lendemain du 7 juillet et l'Église n'a aucun intérêt à rentrer dans une guerre larvée le nouveau pouvoir en place. D'autre part, l'épiscopat français cherche à rompre avec une image où il intervient de manière prononcée dans le champ politique. L'Église qui donne des consignes de vote c'est quelque chose que l'on voyait beaucoup au début du XXe siècle, notamment dans les années 1905, 1910.

Au milieu de cette confusion, les catholiques peuvent-ils faire entendre une voix singulière ?
Là encore, il faut rappeler qu'il n'y a pas de vote catholique, mais des votes catholiques, ce qui complexifie le paysage politique. Historiquement cependant, on peut dire que le catholicisme a toujours été un outil de dialogue et de conciliation entre des partis contraires. Les catholiques ont pu servir de facilitateurs, en mettant de l'huile dans les rouages grâce à leurs relations extra partisanes. Ce rôle sera certainement de nouveau mis à l'épreuve après ces élections : que ce soit avec une victoire du RN ou une absence de majorité claire, le pays va faire face à une véritable exacerbation des tensions politiques. Le fait, pour l'Église en France, de servir d'instance de dialogue, va être nécessaire pour l'intérêt général.

Nos institutions sont-elles prêtes à assumer des résultats qui ne dégageraient pas de majorité claire ?
Non, mais aucune institution n’est faite pour ça. Dans les États étrangers où ces situations de blocage sont arrivées, on a finalement trouvé des motus vivendi. Si vraiment aucune majorité ne peut se dessiner, on peut mettre en place un gouvernement technique, qui permettra de gérer les affaires courantes pendant un an avec des partis politiques qui renoncent à voter des motions de censure. On peut aussi voir se former des systèmes d'union nationale ou de grandes coalitions, bien que si la France Insoumise et le RN ont à eux deux une majorité absolue ce sera certainement compliqué à envisager... Il peut se passer beaucoup de choses. La Ve République n’est pas parfaite mais les tabous politiques sautent en période de crise. Avant d’enterrer les institutions et de penser qu'elles ne pourront pas gérer le chaos, il faut attendre et observer. Le régime actuel est assez souple : il peut fonctionner comme régime parlementaire, ou au contraire hyper-présidentiel, son adaptabilité peut le faire tenir. La question qui demeure est celle de savoir si les acteurs politiques sont prêts à coopérer. Il est évident que nous tendons vers une crise politique, vers une grande période de flottement et de tensions, mais il y aura des solutions.

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