18 décembre 1924 : "La polonaise qui tua son ami pour abréger ses souffrances sera jugée en février", titre Le Petit Parisien. "La polonaise", c'est Stanisława Umińska, jeune femme de 23 ans accusée d'avoir tué d'un coup de revolver son fiancé, six mois plus tôt. Inculpée d'homicide volontaire, cette actrice de théâtre va pourtant rencontrer la foi et finir par consacrer sa vie à Dieu.
Née à Varsovie le 17 novembre 1901, Stanisława suit des cours de chant et de théâtre avant d'être engagée en tant que comédienne au théâtre Polski, l'un des plus grands théâtres polonais. Elle devient l'une des actrices les plus célèbres de sa génération. Adulée par son public, elle le lui rend bien et enchaîne les représentations dans tout le pays. L'automne 1923 débute lorsqu'elle tombe follement amoureuse de Jan Marceli Żyznowski, auteur, peintre et scénographe de dix ans son aîné qu'elle rencontre lors d'un vernissage. Ils se fiancent presque aussitôt. Mais leurs rêves et leurs projets d'avenir sont brutalement interrompus : Jan est atteint d'un cancer aux deux poumons et à l'intestin. Il enchaîne les rendez-vous médicaux et les traitements, subit une lourde opération, mais rien n'y fait : la maladie s'est installée et ne semble pas vouloir lâcher prise. L'état de santé de Jan se détériore sous les yeux de sa bien-aimée, impuissante. Il est hospitalisé à Villejuif, à l'hôpital Paul Brousse. Les doses de morphine ne parviennent plus à soulager l'atroce douleur physique, et sa souffrance est si vive qu'il implore Stanisława, qui ne quitte pas son chevet, de mettre fin à ses jours.
Le geste irréparable
Le 15 juillet 1924, le silence nocturne de l'hôpital est brisé par un coup de feu. L'infirmière de garde se rue vers la chambre de Jan et trouve, agenouillée près du lit, hagarde, la jeune femme murmurant : "Enfin, enfin, j'ai aidé Jan". Puis, s'écroulant au sol, elle perd connaissance. Entre ses mains, un revolver Brownings. La jeune femme a commis l'irréparable et devient "l'ange de la mort". La presse, française et polonaise, s'empare du drame et le débat sur l'euthanasie - preuve que celui-ci ne date pas d'hier - est lancé. Le geste de l'actrice est majoritairement justifié par les médias comme par l'opinion publique, considéré comme un acte d'amour ultime. La justice ne l'entend pas de cette oreille et l'inculpe aussitôt pour homicide volontaire. Le jour de son procès, son visage pâle caché sous un chapeau noir, les traits tirés, Stanisława ne se défile pas mais maintient avoir commis ce geste par amour de son fiancé et dans le désir unique de le soulager d'une souffrance devenue invivable. "Quelle idée vous a traversé l'esprit ?" questionne le président de la cour. En polonais, l'accusée répond : "Il m'avait dit que ses souffrances devenaient intolérables et il m'avait demandé de le tuer. Je lui répondis : non ! Il insista de nouveau et je lui répondis encore que je n'en aurais jamais le courage. Mais les jours passant et sentant qu'il souffrait trop, je saisis le revolver et je tirai."
Je le répète : je n’avais pas le droit de faire ça.
"Il n'est point permis de donner la mort à un être humain, et c'est pour cela que vous êtes ici", répond le magistrat. "Mais il importe que le jury sache que votre acte n'a pas eu d'autre mobile que celui que vous venez de dire : épargner une souffrance de plus à l'homme que vous chérissiez." Les témoins défilent à la barre : le docteur en charge de Jan Zinowksy affirme que ce dernier ne pouvait vivre qu'une semaine tout au plus et que le traitement administré était sans espoir. Les infirmières attestent du dévouement de la jeune femme, jour et nuit au chevet de son fiancé, et de ses transfusions de sang en dépit d'une santé déjà fragile. Petit à petit, le jury fléchit, et c'est le témoignage de la mère de Zinowsky qui achève de convaincre les juges. "Nous la considérions comme notre future belle-fille (...) Mon fils ne tarissait pas d'éloges sur sa fiancée. (...) Moi, mère de mon défunt fils, je ne trouve pas de morts pour condamner Mlle Uminska. Je ressens pour elle une grande, grande pitié, je lui pardonne, car elle n'était que l'exécutrice de ce que lui a ordonné celui qu'elle aimait, qu'elle aimait plus qu'elle ne devait aimer." Alors que la peine de mort l'attend, l'accusée est finalement acquittée, le 7 février 1925.
Stanisława passe ensuite par une terrible crise psychologique et s'enfonce dans la dépression, tourmentée par les remords. "Je le répète : je n’avais pas le droit de faire ça. Jan (...) aimait la vie, il détestait la mort. Je voulais lui épargner l’idée qu’il allait mourir. Ou peut-être que je voulais me ménager, craignant de ne pas pouvoir faire face à ces souffrances inhumaines", déclara-t-elle plus tard.
Chemin de rédemption
Sur les conseils de son confesseur, elle trouve quelques temps refuge à l'abbaye bénédictine de Jouarre où elle passe du temps seule, dans la prière et la pénitence. De retour en Pologne, Stanisława cherche une place dans une congrégation religieuse, qu'elle finit par trouver chez les Bénédictines samaritaines de la croix du Christ, dédiées à l'enseignement et la prise en charge des enfants handicapés mentaux, ainsi qu'à l'assistance des malades ou des prisonniers. Elle prend le nom de sœur Begnina après avoir prononcé ses vœux perpétuels en 1936 et devient très appréciée pour son dévouement auprès des plus faibles, notamment auprès des personnes handicapées. Sous l'occupation, elle participe à la création d'un théâtre souterrain à Varsovie avec Léon Schiller, metteur en scène juif lui aussi converti qu'elle cache de la déportation. Elle s'éteint en 1977, le jour de Noël. Elle avait 76 ans.