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La primauté de l’évêque de Rome, barrière ou chance pour la communion entre les Églises ?

Statue de saint Pierre à l'extérieur de la basilique Saint-Pierre, au Vatican.

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I.Media - publié le 15/06/24
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Le dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens a publié le 13 juin un "document d'étude" sur le rôle et la place du Pape dans la chrétienté. Si l'ensemble des Églises convergent sur la nécessité d'une primauté dans l'Église, l'infaillibilité pontificale reste une pierre d'achoppement pour avancer dans la communion.

"L’évêque de Rome – Primauté et synodalité dans les dialogues œcuméniques et dans les réponses à l’encyclique Ut unum sint" : c’est sous ce titre que le dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens a publié le 13 juin 2024 un ambitieux "document d’étude" offrant la première synthèse générale depuis le Concile Vatican II sur le sujet sensible de la place du Pape dans le monde chrétien. La publication de ce document s’inscrit dans la préparation du 30e anniversaire de l’encyclique de Jean Paul II sur l’œcuménisme, mais aussi dans la perspective du Synode sur la synodalité et la commémoration du Concile de Nicée, dont le 1.700e anniversaire sera célébré en 2025 par les Églises chrétiennes.

Le long document de 150 pages publié par le dicastère romain en charge des relations avec les autres Églises et communautés chrétiennes dresse un panorama approfondi des réflexions menées sur le sujet depuis plusieurs décennies. Il comporte ainsi une trentaine de réponses adressées par les Églises à l’encyclique de Jean Paul II Ut unum sint, et une cinquantaine de documents issus de groupes de dialogue œcuménique ayant abordé ce thème. Le texte compte notamment de nombreuses références au Groupe des Dombes, au sein duquel se réunissent régulièrement des théologiens protestants et catholiques francophones.

De la polémique au consensus

Le père Hyacinthe Destivelle, official au dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens, explique à I.MEDIA que les évolutions œcuméniques des dernières décennies ont été encourageantes, tendant vers une reconnaissance de l’évêque de Rome comme un "serviteur de la communion entre les Églises". "Une sorte de consensus, de convergence émerge sur la nécessité d’une primauté dans l’Église entière, alors qu’auparavant c’était une question très polémique, très controversée. Mais maintenant, dans un monde globalisé, un consensus émerge sur la nécessité d’une incarnation, d’une voix qui puisse parler au nom de tous", précise-t-il.

"À la différence des polémiques du passé, la question de la primauté n’est plus considérée seulement comme un problème mais aussi comme une opportunité pour une réflexion commune sur la nature de l’Église et sa mission dans le monde", a expliqué le cardinal Kurt Koch, préfet de ce dicastère, lors de la conférence de presse de présentation du document au Vatican.

L’infaillibilité pontificale, un concept à réinterpréter

Le texte mentionne toutefois plusieurs pierres d’achoppement qui nuisent à l’unité des chrétiens, parmi lesquelles le dogme de l’infaillibilité pontificale, issu du Concile Vatican I, qu’a réuni le pape Pie IX en 1869-70. "Ces définitions dogmatiques se sont révélées être un obstacle important pour les autres chrétiens en ce qui concerne la papauté", est-il indiqué.

Le dicastère invite donc à réinterpréter la doctrine issue du Concile Vatican I au regard du contexte historique de la fin du XIXe siècle, durant lequel, en réaction aux menaces politiques et idéologiques pesant sur la papauté, "le mouvement ultramontain a encouragé le leadership du Pape et la création d’une Église plus centralisée, sur le modèle des régimes politiques contemporains de souveraineté". L’enjeu était donc de favoriser "la protection de la liberté de l’Église" face aux pouvoirs temporels et de générer "une force d’unité face au monde moderne", indique le texte en citant un groupe de dialogue italien entre théologiens protestants et catholiques.

Au regard des évolutions offertes 90 ans plus tard par le Concile Vatican II, le document met en valeur de "nouvelles pistes de réflexion sur la manière dont le ministère de l’unité pourrait être exercé dans une Église réconciliée". Lors de la conférence de presse, le cardinal Koch a rappelé que Vatican II avait mis en avant le principe de la "collégialité épiscopale", apportant donc des nuances par rapport au principe de l’infaillibité pontificale.

Il n’a pas exclu la publication d’un document ultérieur sur une réinteprétation de ce dogme, qui n’a en réalité, après sa proclamation par Pie IX, été mis en oeuvre qu’une seule fois : lors de la proclamation du dogme de l’Assomption par Pie XII en 1950, et après une consultation des évêques du monde entier.

Contrairement à une interprétation répandue, ce dogme n’est pas synonyme d’une infaillibilité personnelle des papes dans l’ensemble de leur magistère, mais cette infaillibilité n’est valable que quand un Pape exprime la foi de l’Église, au nom du Peuple de Dieu et non pas en son nom propre. Citant Benoît XVI, le cardinal Koch a par ailleurs souligné que le premier devoir de tout Pape est "l’obéissance au Christ", au-delà de toute inclination personnelle.

La réticence des orthodoxes

Le document revient en détail sur les obstacles qui demeurent entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes. "Les Églises orientales, tout en reconnaissant une primauté d’honneur à l’évêque de Rome, considèrent que cette primauté relève de l’évolution historique", est-il indiqué. Le patriarcat de Moscou a déclaré en 2013 : "La primauté d’honneur accordée aux évêques de Rome n’est pas instituée par Dieu mais par les hommes", est-il rappelé.

"Les Églises orthodoxes, craignant d’être absorbées et de perdre le pouvoir de se gouverner elles-mêmes, considèrent la relation entre les Églises orientales catholiques et le Siège de Rome comme une mesure de la crédibilité œcuménique de l’Église catholique. Elles ne reconnaissent pas la relation actuelle des Églises orientales catholiques avec Rome comme un modèle de communion future", est-il indiqué. La méthode de l’uniatisme, c’est-à-dire le retour sous l’autorité de Rome de certaines communautés autrefois orthodoxes, est clairement présentée comme obsolète et comme n’étant plus de mise.

Le texte reprend aussi les mots du pape François lors de la Divine Liturgie célébrée par le patriarche Bartholomée au Phanar, le siège du patriarcat de Constantinople, le 30 novembre 2014. La restauration de la pleine communion "ne signifie ni soumission l’un à l’autre, ni absorption, mais plutôt accueil de tous les dons que Dieu a donnés à chacun pour manifester au monde entier le grand mystère du salut réalisé par le Christ Seigneur, par l’Esprit saint", avait alors assuré le chef de l’Église catholique.

Recherche d’un nouveau modèle de synodalité

L’un des axes principaux du document est l’articulation entre primauté et synodalité, un outil que l’Église catholique cherche actuellement à réinvestir en interne, avant, peut-être, de pouvoir le vivre dans ses relations avec les autres Églises. Ainsi, les acteurs du dialogue luthéro-catholique en Australie ont reconnu que "l’évêque de Rome a un rôle particulier à jouer pour favoriser l’unité de l’Église en tant que Peuple de Dieu et Corps du Christ". Ils affirment que "dans une Église réconciliée", l’une des fonctions centrales du Pape serait de convoquer et présider des synodes, "afin que l’Église tout entière puisse délibérer sur les questions et les défis auxquels elle est confrontée et chercher des réponses pastorales appropriées".

Le texte précise que c’est en proposant un "modèle attrayant de synodalité" que l’Église catholique se gagnera en crédibilité auprès des autres Églises et communautés chrétiennes, dans certaines desquelles la synodalité a une valeur non seulement symbolique mais aussi juridictionnelle. Tout en laissant ouvert le débat théologique sur l’interprétation précise de ce terme, qui n’a pas exactement le même sens selon les contextes locaux, le document redit l’importance des gestes symboliques du Pape en faveur d’une dynamique synodale dans la relation avec les autres Églises.

Des initiatives récentes illustrent la promotion d’une "synodalité externe", rappelle ce document mentionnant par exemple la visite conjointe à Lesbos en 2016 du pape François, du patriarche Bartholomée et de l’archevêque Ieronymos, pour témoigner de leur préoccupation commune pour la situation tragique des migrants. D’autres exemples sont cités, parmi lesquels la prière conjointe luthérienne-catholique présidée en Suède en 2016 par le pape François et le président de la Fédération luthérienne mondiale, ou encore le pèlerinage œcuménique pour la paix au Soudan du Sud mené en 2023 par le pape François, le primat Justin Welby et le révérend Iain Greenshields, modérateur de l’Église presbytérienne.

Le Pape est d’abord l’évêque de Rome

Un autre angle essentiel de la réflexion œcuménique concerne le ministère d’évêque de Rome en tant que tel. "Il est nécessaire de distinguer les rôles patriarcal et primatial de l’évêque de Rome de sa fonction politique en tant que chef d’État. En mettant davantage l’accent sur l’exercice du ministère du Pape dans son Église particulière, le diocèse de Rome, on mettrait en évidence le ministère épiscopal qu’il partage avec ses frères évêques et on renouvellerait l’image de la papauté", souligne le document. Le texte rappelle que le pape François avait mentionné son titre d’"évêque de Rome" dès ses premiers mots publics après son élection, en disant que "la tâche du conclave était de donner un évêque à Rome", sans mentionner son titre de Pape. Un geste significatif afin de souligner que le siège pétrinien est d’abord celui d’un épiscopat parmi les autres, dans la perspective d’une "ecclésiologie de communion".

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