Il y a dix ans, les chrétiens d’Irak s’apprêtaient à vivre l’une des périodes les plus sombres de leur histoire millénaire. Le 10 juin 2014, après six jours de combat, l’État islamique prenait Mossoul, deuxième ville du pays, qui devient alors la capitale irakienne auto-proclamée de l’organisation djihadiste. Pas moins de 1.200 familles chrétiennes vivaient là avant l’arrivée de Daesh. Mais depuis le départ de l’État islamique en 2017 et la fin de la guerre, la plupart d’entre elles ne sont pas revenues. "C’est très compliqué d’établir des chiffres, estime Églantine Gabaix-Hialé, chargée de mission pour l’Œuvre d’Orient. "On parle souvent de 60 à 70 familles, mais c’est probablement autour de 25, et certaines ne comptent qu’une seule personne." Celles qui sont parties se sont éparpillées aux environs de Mossoul dans la plaine de Ninive, au Kurdistan irakien.
Dans tout le pays, le nombre de chrétiens est passé de 1,4 millions en 2003, à moins de 250.000 en 2021, selon l'Aide à l'Église en Détresse (AED). Certains ont quitté le pays, vers l’Europe ou l’Amérique du Nord. Mais la majorité est restée en Irak, en raison de la difficulté d'obtenir un visa. On compte aujourd'hui trois grands foyers de présence chrétienne dans le pays, dont Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Dans la plaine de Ninive, 24.000 chrétiens vivent à Qaraqosh, contre 50.000 avant la guerre, et d'autres sont installés à Bakhdida, ville où cohabitent musulmans et chrétiens. L'archevêque d'Erbil, Mgr Warda, assurait également à l'AED que 9.000 familles de la plaine de Ninive réfugiées au Kurdistan irakien pendant la guerre ont regagné leur terre d'origine. Mais la ville de Mossoul ne bénéficie pas de ce retour des chrétiens.
"Une peur ancrée depuis l'invasion"
La plupart de ceux qui vivaient à Mossoul avant la guerre n'ont pas réélu domicile dans la ville. Bon nombre de ceux qui sont implantés dans la plaine de Ninive continuent d'y travailler ou d'y faire leurs courses. "C'est bien moins cher qu'ailleurs", souligne Églantine Gabaix-Hiale. "La vie a repris à Mossoul, les restaurants et les boutiques sont ouverts". Mais le traumatisme de la guerre et l'instabilité politique dans la région sont des obstacles encore difficilement surmontables. "Il y a une peur ancrée depuis l'invasion [par Daesh]", note-t-elle. "Ça a été tellement soudain et ils ont eu l'impression d'avoir été trahis." S'ajoutent à cela la corruption des autorités politiques, l'insécurité, la crise économique et le chômage, les discriminations administratives dans l'accès aux droits et aux soins, ou encore les infrastructures non reconstruites.
À Mossoul et ses environs, près de 54.000 habitations ont été détruites entre 2014 et 2017, selon un rapport fourni par l'AED en 2021. Sans compter les difficultés pour scolariser les enfants, puisque 62 écoles de la ville ont été complètement détruites. "Il y a aussi la pression extérieure des familles déjà parties", rappelle Amélie Berthelin, responsable du service information à l'AED. "Elles demandent à leurs proches de les rejoindre, en Australie, aux États-Unis ou ailleurs." Malgré ce sombre tableau, les organisations et associations chrétiennes continuent de soutenir et d'espérer le retour des chrétiens irakiens chez eux, y compris dans Mossoul. "Ils ont une mission en tant que chrétiens sur cette terre, ils forment un pont entre les communautés religieuses", insiste Amélie Berthelin. En 2023, l'AED a versé pas moins de 2,44 millions d'euros pour financer 44 projets en Irak.
D'autres initiatives sont portées par les chrétiens irakiens eux-mêmes pour tenter de ressouder leur communauté. Les Petites sœurs de Jésus se sont réinstallées à Mossoul où elles habitaient avant la guerre. Elles y vivent aujourd'hui en harmonie avec la communauté musulmane. "Elles veulent aussi par là inciter les autres chrétiens à revenir, leur dire que c'est possible", assure Églantine Gabaix-Hiale. La quiétude n'est pas encore revenue en Irak. Elle ne sera possible qu'avec l'espérance de ces chrétiens, facteur de paix et de résilience dans une société martyrisée par la guerre.