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Marie-Madeleine de Pazzi, la carmélite qui volait dans sa chapelle

Marie-Madeleine-de-Pazzi

Gravue de Marie-Madeleine de Pazzi.

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Anne Bernet - publié le 24/05/24
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Sujette aux extases mystiques et phénoménales, la jeune carmélite florentine Marie-Madeleine de Pazzi possédait aussi le don de prophétie, qui lui valut de parler au futur pape Léon XI, pourtant ennemi de sa famille. Canonisée en 1669, elle est fêtée par l’Église le 25 mai.

L’un des critères de discernement de la véracité des apparitions et phénomènes mystiques est que leur bénéficiaire n’en retire nul avantage ni notoriété. S’il est arrivé que certaines communautés religieuses, en possession d’un membre doté de charismes, d’ailleurs authentiques, les aient utilisés à des fins matérielles, c’est un reproche que l’on ne peut faire aux carmélites de Florence en cette fin du XVIe siècle, au contraire ! Lorsque, en 1584, elles découvrent que sœur Maria Maddalena (Marie-Madeleine de Pazzi, ndlr) est en constant colloque avec le Ciel et que cette intimité divine se traduit par des prodiges : lévitation, bilocation, don de prophétie, de guérison, etc., les supérieures se montrent d’une discrétion exemplaire ; peut-être sont-elles gênées par les extravagances involontaires et incontrôlables de la jeune professe de 18 ans. 

En extase, comme si de rien n’était

Emportée en extase chaque fois qu’elle communie, Maria Maddalena s’envole, au sens littéral du terme, et plane vers les voûtes de la chapelle Santa Maria degli Angeli. À la longue, les religieuses se sont habituées à la chose mais tiennent à la tenir cachée. D’ordinaire, Maddalena essaie de ne pas attirer l’attention sur les grâces qui l’accablent. Elle a même obtenu du Ciel, lorsqu’elle est en cet état, qui peut durer des heures, de lui permettre, tout en restant en ravissement, de vaquer à ses occupations comme si de rien n’était. On la voit éplucher les légumes, mettre la table, faire la lessive, coudre, broder, tout en étant manifestement très loin de ce qui l’entoure.

La jeune fille tenant pour péché de recevoir des visites et se présenter au parloir, quand même elle serait séparée de son interlocuteur par la grille de clôture, le rideau, et son voile baissé, l’on ne craint pas que l’affaire s’ébruite en ville. Cependant, l’on ne peut refuser l’accès du cloître à l’archevêque de Florence, Mgr de Médicis ; or, ce matin de 1686, à l’annonce de la visite du prélat, sœur Maria Maddalena a demandé la permission de lui parler. Elle s’est heurtée au refus de sa prieure ; à la fin de la messe, elle fera en sorte à ne pas croiser Son Excellence. Maddalena a accepté, sachant que sa présence pourrait déplaire à l’archevêque. 

Panique dans la chapelle

C’est que sœur Maddalena portait, dans le monde, un nom depuis des générations honni des Médicis : celui des Pazzi. Bien qu’unies par le sang, les deux familles ont été longtemps en compétition pour la domination de Florence et, quand la victoire des Médicis a paru acquise, en raison du génie politique de Laurent le Magnifique, les Pazzi ne s’y sont pas résignés. Ils ont décidé d’éliminer le rival et organisé, avec les mécontents de l’aristocratie, un complot sacrilège car il prévoit de profiter de la messe pour assassiner Lorenzo dans la cathédrale. Il faut être fou pour monter un coup pareil mais fous, les Pazzi le sont, comme l’indique leur patronyme, pazzo voulant dire "cinglé" en italien. L’histoire a mal fini. Les meurtriers ont raté Laurent, enfermé dans la sacristie et secouru par ses partisans, mais, crime inexpiable, ils ont poignardé son cadet, Julien. Après cela, l’aîné a été impitoyable, faisant pendre tous les conjurés qu’il a pu, et les hommes du clan Pazzi les premiers, aux balcons du palais de la Signoria où leurs dépouilles ont pourri. Depuis, il existe comme un léger froid entre les deux familles… On ne plaisante pas avec l’honneur et la vendetta en Italie à l’époque.  

Même carmélite, une fille du clan haï ne doit pas offenser la vue de Monseigneur. Obéissante, à l’instant où le prélat approche de la chapelle, Maddalena s’apprête à sortir, et ne le peut. L’extase l’a saisie. Mais si d’ordinaire elle reste libre de ses mouvements, ce n’est pas le cas ce matin. Raide comme une statue, coupée du monde extérieur, elle ne peut plus bouger. Et l’archevêque arrive ! C’est la panique dans la chapelle ; plusieurs religieuses, et même l’aumônier, tant l’affolement est grand, essaient de soulever l’extatique et la porter dehors. Impossible ! Alors qu’elle a fait vœu, par esprit de pénitence, de vivre au pain sec et à l’eau, de sorte qu’elle est maigre à en être transparente et ne pèse pas plus qu’un fétu, Maddalena est lourde comme du plomb. L’on appelle cela pesanteur absolue et, en pareil cas, rien ni personne ne saurait bouger l’extatique. Il faut se résoudre à la laisser là, quitte à donner des explications embarrassées à Monseigneur. En espérant qu’elle ne se réveille pas au mauvais moment. 

Consumée par la soif de Dieu

Or, bien entendu, Dieu ne s’amusant pas gratuitement à ce genre de miracle, la carmélite retrouve ses esprits précisément quand Alessandro di Medici arrive. En vérité, elle doit absolument lui parler et elle parlera. "Vous possédez, Monseigneur, un grand honneur mais vous en posséderez un bien plus grand encore car vous serez élevé au souverain pontificat." Pourquoi faut-il qu’une Pazzi ne puisse annoncer une bonne nouvelle à un Médicis sans la gâcher ? Sur sa lancée, Maddalena poursuit : "Mais vous ne jouirez pas longtemps de cette dignité ; lorsque vous l’embrasserez, elle passera en un instant !" En effet, élu pape en 1605 sous le nom de Léon XI, le pontife ne régnera que vingt-six jours.

La prophétesse lui survivra jusqu’au 15 mai 1607, date où elle s’éteint, à 41 ans, dans d’atroces souffrances physiques et morales, consumée de privations mais surtout par la soif de Dieu, après avoir librement choisi de s’associer jusqu’au bout aux douleurs du Calvaire et de Celui dont elle disait, dans ses extases, en pleurant : "Amour ! Personne ne te connaît ! Amour, personne ne t’aime …"

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