Attendu impatiemment par les uns, ou avec angoisse par les autres, le projet de loi sur la fin de vie a finalement été présenté en Conseil des ministres le 10 avril. Et comme on pouvait s’y attendre, les mesures qu’il contient sont glaçantes. Parmi les 36 articles du projet de loi, se trouvent des dispositions certes terribles, mais attendues. Suicide assisté, euthanasie, critères d’éligibilité… Tout y est. Si les termes du projet de loi et la possibilité d’une mise en œuvre restent encore flou, sa présentation va permettre à chacun de débattre sur des éléments enfin précisés. La prochaine étape décisive aura lieu le 27 mai pour l’examen du texte à l’Assemblée nationale. Voici les six points saillants du projet de loi sur lesquels les parlementaires devront se prononcer.
1Pas de collégialité des médecins pour décider
C'était l'une des grandes questions sur lesquelles subsistaient l'incertitude. Après les interminables louvoiements d'Emmanuel Macron, le projet de loi est finalement clair sur une éventuelle procédure collégiale pour l'examen des demandes d'aide à mourir. Un médecin pourra bel et bien se prononcer seul sur la demande à mourir d'un patient.
Pour apprécier les critères d'éligibilité d'un patient, l'article 8 du texte prévoit pour l'instant que le médecin "recueille l'avis" d'autres professionnels de santé. Il "se prononce dans un délai maximal de quinze jours suivant la demande et notifie sa décision motivée à la personne", est-il encore précisé.
Autrement dit, la collégialité annoncée par Emmanuel Macron dans son entretien à La Croix en mars ne sera que purement consultative. La décision finale d'accéder ou non à une demande d'aide à mourir appartiendra donc seule au médecin du patient.
2La clause de conscience est dans le texte
Maigre soulagement face au texte, les professionnels de santé qui exercent en soins palliatifs pourront se prévaloir d'une clause de conscience, prévue à l'article 16 du projet de loi. "Le professionnel de santé qui ne souhaite pas participer à la mise en œuvre de ces dispositions doit informer, sans délai, la personne de son refus", est-il écrit.
Une simple mesure visant à "faire passer la pilule létale de l’euthanasie et du suicide assisté aux soignants", dénonçait déjà Alliance Vita en mai 2023 au début des travaux ministériels sur la fin de vie. Le texte final ajoute d'ailleurs que le soignant en question sera tenu de "communiquer le nom de professionnels de santé susceptibles d’y participer", et donc de ne pas s'opposer au choix du patient.
3Euthanasie et suicide assisté, des mots qui ne se disent pas
Selon l'article 5 du projet de loi, "l'aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner la mise à disposition, à une personne qui en a exprimé la demande, d’une substance létale (...) afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne." Si cette définition correspond précisément à celles de l'euthanasie et du suicide assisté, aucun de ces termes ne figurent dans le texte.
Interrogé ces derniers mois sur la fin de vie, Emmanuel Macron a toujours refusé de parler de suicide assisté et d'euthanasie, leur préférant l'expression, moins évocatrice, d'"aide active à mourir". Pour le chef de l'État, le "modèle français sur la fin de vie" se présente au contraire comme un texte d'équilibre, avec des "conditions strictes".
4Les cinq critères d'éligibilité enfin énoncés
Le projet de loi retient finalement cinq critères d'éligibilité auxquels doit correspondre un patient qui formule une demande d'aide à mourir. Ces conditions sont examinées par un médecin, qui peut s'appuyer sur l'avis d'autres soignants. La personne doit ainsi être majeure et de nationalité française ou résidant en France. Elle doit également être "atteinte d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme". Jusque là très floue, la question du délai a été précisée par la ministre de la santé, Catherine Vautrin.
Le projet de loi reprend ainsi la définition de la Haute Autorité de Santé selon laquelle "court terme" équivaut à "quelques jours ou quelques semaines" de vie, alors que "moyen terme" équivaut à six à douze mois. Le patient en fin de vie doit également "présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection", qui doit être "soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas ou a choisi d’arrêter de recevoir des traitements." Enfin, la personne doit manifester sa volonté de façon "libre et éclairée". Seul le patient pourra demander l'aide active à mourir pour lui-même, et il aura un délai de deux jours de réflexion avant que le médecin n'examine la demande.
5Déjà la porte ouverte à des exceptions ?
Les cinq critères cumulatifs contenus dans le projet de loi excluent de facto certaines personnes à la procédure de l'aide active à mourir. Les mineurs ne pourront pas demander le suicide assisté ou l'euthanasie, pas plus que les personnes atteintes de maladies psychiatriques qui altèrent "gravement le discernement lors de la démarche". De même, les patients dont la volonté ne peut s'exprimer de façon libre et éclairée, en particulier les personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives, comme la maladie d'Alzheimer, ne pourront pas y avoir accès.
Si Emmanuel Macron a dit vouloir un texte avec des conditions strictes, des associations militant pour l'euthanasie et le suicide assisté demandent déjà d'aller plus loin. Le président de l'Association du droit à mourir dans la dignité (ADMD), Jonathan Denis, réclame ainsi l'élargissement des conditions aux personnes atteintes de maladie neurodégénératives ou psychiatriques au nom "des valeurs universalistes de la République." D'autres pays européens sont d'ailleurs allés plus loin, comme la Belgique, en proposant l'euthanasie et le suicide assisté aux mineurs ou aux malades psychiatriques.
6Un "manuel" pour donner la mort
La procédure de la demande jusqu'au décès de la personne est également inscrite dans le projet de loi. Il est donc possible de se figurer à quoi pourrait bientôt ressembler une procédure d'aide active à mourir si le projet de loi venait à être adopté par le Parlement. Lorsque le médecin a validé la demande du patient, il peut prescrire "la substance létale", d'une validité de trois mois, "à l’une des pharmacies à usage intérieur (c’est-à-dire qui exerce son activité au sein d’un établissement de santé ou médico-social, ndlr) désignées par l’arrêté du ministre chargé de la santé".
Lorsque la date de l'administration de la substance est fixée par le patient et son médecin, la pharmacie à usage interne prépare la substance qui est transmise aux soignants par une pharmacie d'officine. Le patient peut recevoir le produit létal chez lui ou en dehors de son domicile, et peut se l'administrer lui-même ou par un tiers s'il n'est pas en capacité physique de le faire. Même si le professionnel de santé qui a prescrit la substance n'est pas celui qui administre la dose au patient, il doit rester "à proximité suffisante pour pouvoir intervenir en cas de difficulté."