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Projet de loi fin de vie : la mort comme solution

Blanche Streb - publié le 02/04/24
Alors que le texte sur la fin de vie arrive en conseil des ministres, des voix s’élèvent contre les risques de dérives eugénistes que représente "l’aide active à mourir". Lorsqu’on est vulnérable, comment tenir bon si la société nous renvoie à cette image d’être devenu inutiles et coûteux ? dénonce l’essayiste Blanche Streb.

Le projet de loi fin de vie arrive en conseil des ministres dans quelques jours, le 10 avril 2024. Le prĂ©sident de la RĂ©publique en a dĂ©voilĂ© les contours le 10 mars dernier sous une forme d’avant-première théâtralisĂ©e, dans cet entretien accordĂ© Ă  La Croix et LibĂ©ration qui a eu un fort retentissement et ranimĂ© de multiples oppositions. Cette loi a de quoi susciter les plus vives inquiĂ©tudes. Le prĂ©sident Emmanuel Macron prĂ©tend qu’elle ne prĂ©voit ni euthanasie ni suicide assistĂ© alors mĂŞme qu'elle instaure les deux, camouflĂ©es derrière le doucereux euphĂ©misme d’«aide Ă  mourir" — qui ne nomme pas le rĂ©el — et ne devrait tromper personne. Les inquiĂ©tudes ne traversent bien sĂ»r pas seulement l’Église, mais les autres confessions, le monde des soignants et bien plus largement, d’éminents penseurs et de personnalitĂ©s politiques, comme Jean LĂ©onetti, ancien dĂ©putĂ© et auteur des prĂ©cĂ©dentes lois et des personnalitĂ©s de gauche qui peinent malheureusement Ă  se faire entendre, tant est rĂ©pandue cette idĂ©e trompeuse selon laquelle il s’agirait d’une "loi de progrès"… 

Glaçant et indécent

La version du projet de loi qui circule annonce que la prĂ©paration magistrale lĂ©tale, couvrant les frais de rĂ©alisation et de dĂ©livrance, serait remboursĂ©e par la SĂ©curitĂ© sociale. Une "loi de fraternitĂ©", comme l’a dĂ©signĂ©e sans sourciller le prĂ©sident de la RĂ©publique…  Cela fait froid dans le dos. Par ailleurs, ces jours-ci, alors mĂŞme que sont rĂ©vĂ©lĂ©s les derniers chiffres attestant de l’explosion continue de la dette et des dĂ©rapages historiques des finances de la France, le gouvernement annonce mettre sur la table de nouvelles coupes budgĂ©taires dans le domaine de la santĂ©. Il a notamment Ă©mis la possibilitĂ© de rĂ©duire le remboursement des affections de longue durĂ©e (ALD), dont font partie le diabète, la paraplĂ©gie, la sclĂ©rose en plaques, l’asthme, le VIH, les cancers, Alzheimer… La piqĂ»re lĂ©tale, elle, serait remboursĂ©e ! Cette simple idĂ©e est totalement glaçante. Ajoutons Ă  cela le constat prĂ©occupant mais rĂ©vĂ©lateur qu’une mutuelle comme la MGEN rĂ©alise un vĂ©ritable lobbying, notamment auprès des dĂ©putĂ©s. Arguant parler "au nom de ses adhĂ©rents", elle leur a envoyĂ© fin janvier une lettre pour les convaincre de la nĂ©cessitĂ© "d'une Ă©volution de la loi qui permette une fin de vie libre et choisie". Il y a lĂ  quelque chose d’indĂ©cent. 

Lorsqu’on est vulnérable, comment tenir bon si la société et ses lois nous renvoient à cette image d’être devenu inutiles et coûteux ?

Lorsqu’on est vulnĂ©rable, par sa santĂ© qui dĂ©faille, sa solitude qui isole ou sa prĂ©caritĂ© qui tenaille, comment tenir bon si la sociĂ©tĂ© et ses lois nous renvoient Ă  cette image d’être devenu inutiles et coĂ»teux ? C’est ce qui se passe Ă  l’étranger, comme au Canada, oĂą "l’aide mĂ©dicale Ă  mourir" est dĂ©pĂ©nalisĂ©e. Les histoires dĂ©crivant un système qui en vient Ă  encourager les personnes vulnĂ©rables Ă  demander la "mort mĂ©dicale" ne sont plus rares. La presse fait dĂ©sormais Ă©tat de Canadiens qui, poussĂ©s par la pauvretĂ© et le manque d’accès Ă  des soins de santĂ©, Ă  un logement et Ă  des services sociaux adĂ©quats, se sont tournĂ©s vers ce système d’euthanasie. Comment ne pas comprendre, avec ces douloureux exemples-Ă -ne-pas-suivre, Ă  quel point ces lois crĂ©ent de vĂ©ritables ruptures dans la fraternitĂ© ? 

La peur de devenir un poids pour la société

L’interdit de tuer est gravĂ© dans le marbre de la dĂ©ontologie mĂ©dicale depuis 2500 ans, il l’est aussi, il faut y croire, dans la loi morale inscrite dans le cĹ“ur de l’homme. "Tu ne tueras point." Prendre soin des personnes vulnĂ©rables, des malades et des mourants est sans doute le critère ultime de notre humanisation. L’urgence absolue est le dĂ©veloppement des soins palliatifs, et de tout ce qui permet de soulager la souffrance pour permettre Ă  chacun de vivre une fin de vie la mieux accompagnĂ©e possible, sans jamais l’interrompre par un geste lĂ©tal. Les risques de rĂ©gression que font courir Ă  notre sociĂ©tĂ© la vaporisation de l’interdit fondateur de donner la mort sont inouĂŻs. C’est tout le regard sur notre humanitĂ© qui s’en trouvera chamboulĂ©. 

Il est évident que la peur de devenir un poids pour son entourage grandira à mesure que le regard collectif sur la fragilité se brouillera ou se détournera, à cause de l’existence même d’une telle loi. "Comment s’assurer que des personnes malades, handicapées et marginalisées, lasses de se battre contre une société qui ne fait rien pour les soutenir, ne seront pas orientées vers ce dispositif qui leur présente la mort comme “solution” ?", alerte l’avocate et militante féministe Elisa Rojas, elle-même porteuse de handicap, dans un entretien accordé cette semaine à Politis

Les risques de dérives eugénistes

Partout dans le monde oĂą l’euthanasie et/ou le suicide assistĂ© ont Ă©tĂ© lĂ©galisĂ©s, les conditions fixĂ©es au dĂ©part finissement par dĂ©river. Et très vite. "En tant que personnes handicapĂ©es, nous savons que notre mort est toujours considĂ©rĂ©e comme “libĂ©ratrice” par cette sociĂ©tĂ© qui nous considère comme des fardeaux. Les risques de dĂ©rives eugĂ©nistes que reprĂ©sente l’aide active Ă  mourir ne sont pas hypothĂ©tiques. Il existe des prĂ©cĂ©dents historiques, comme des exemples Ă  l’étranger, qui n’ont rien de rassurant. Avant de se prĂ©cipiter pour faciliter l’accès Ă  la mort des personnes malades et/ou handicapĂ©es sous couvert d’humanisme, peut-ĂŞtre faudrait-il d’abord s’assurer qu’elles puissent vivre dans de bonnes conditions", conclut la jeune femme. Un appel Ă  entendre, avant qu’il ne soit trop tard. 

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