Au réfectoire, les carmes et les carmélites ont l’habitude de manger en silence en écoutant une lecture. Les types de livre peuvent être variés (biographies de saints, livres d’histoire, spiritualité, etc.). Mais pendant la période du carême, un livre est privilégié : Le Chemin de perfection de sainte Thérèse d’Avila. Ce livre n’est pas le plus connu, ni le plus attirant a priori. Thérèse n’y parle pas tant de ses expériences personnelles, de sa conversion, comme dans son autobiographie, ni même du château intérieur de l’âme, autant de thèmes pour lesquels on la lit volontiers. Elle y parle de conversion !
Le plan de guerre de Thérèse
Thérèse nous invite à marcher sur les chemins de la vertu pour favoriser notre vie d’oraison. Plus profondément encore, elle y dévoile son "plan de guerre".
Il m’a semblé nécessaire de recourir à ce qui se pratique en temps de guerre : lorsque l’ennemi a occupé toutes les terres, le seigneur du lieu, pressé de toutes parts, se retire dans une ville qu’il fait fortifier avec soin ; de là il fond de temps en temps sur l’ennemi ; ceux qu’il mène au combat, étant tous des soldats d’élite, le secondent mieux que des soldats plus nombreux mais lâches. (Chemin de perfection, 3,1)
De quelle guerre s’agit-il ? Celle qui concerne le salut des âmes et la croissance de l’Église. Le "monde est en feu" s’y écrit-elle, selon sa formule bien connue et elle poursuit : "On veut condamner de nouveau Jésus-Christ, comme ils disent en l’accablant de mille calomnies ! On veut jeter à terre son Église !" (Chemin, 1,5.)
Les trois vertus de l’âme
Quelles sont donc les armes qu’il faut prendre ? Thérèse en propose trois fondamentales : la charité fraternelle, le détachement et la véritable humilité. C’est par ces vertus que l’âme se dispose à devenir telle que le Seigneur voudra bien l’exaucer, comme une véritable amie, lorsqu’elle intercède pour le monde afin que l’Évangile puisse y être annoncé en toute vérité (Chemin, 1,2) :
"Je décidai donc de faire le peu qui dépendait de moi, c’est-à-dire suivre les conseils évangéliques aussi parfaitement que possible et veiller à ce que ces quelques sœurs qui m’entourent fassent de même, sûre de la grande bonté de Dieu qui ne manque jamais d’aider celui qui renonce à tout par amour pour lui. Mes compagnes, telles que mes désirs se les représentaient, pourraient par leur vertu compenser mes erreurs et de la sorte, j’arriverais à contenter le Seigneur en quelque chose : toutes en prière pour les défenseurs de l’Église, pour les prédicateurs et les lettrés qui la soutiennent, nous aiderions dans la mesure de nos forces ce Seigneur de mon âme, poursuivi de si près par ceux qu’il a comblés de tant de bienfaits."
Les secrets du "Notre Père"
Par la pratique de ces vertus, que Thérèse décrit en détail, l’âme se prépare à entrer dans l’intimité de Jésus. Thérèse l’introduit alors dans les secrets de la prière du "Notre Père" en laquelle se trouve le secret de la plus haute contemplation (Chemin 25, 1-2) :
Je vous le dis, il est très possible que, tandis que vous récitez le Pater noster ou une autre prière vocale, le Seigneur vous élève à la contemplation parfaite. Sa Majesté montre ainsi qu’elle entend celui qui lui parle. Ce souverain Maître lui parle à son tour, il suspend son entendement, il arrête sa pensée, et recueille pour ainsi dire ses paroles avant qu’elles ne soient prononcées ; et même si on le veut, on ne peut prononcer un mot si ce n’est au prix de grands efforts. L’âme reconnaît que ce Maître divin l’enseigne sans bruit de paroles ; il suspend l’activité de ses facultés ; car si elles opéraient à ce moment-là, au lieu de procurer quelque avantage, elles ne feraient que nuire. En cet état, les facultés jouissent sans comprendre comment elles jouissent. L’âme est embrasée d’amour, sans comprendre comment elle aime.
Remettre sa volonté dans les mains de Dieu
De la pratique des vertus jusqu’à la contemplation, l’âme est conduite à remettre sa volonté entre les mains de Dieu, dans un échange si amical (Chemin 32,12) :
que non seulement il lui rend sa volonté, mais il lui donne en même temps la sienne propre. Dès lors qu’il la traite ainsi, il prend plaisir à voir ces deux volontés commander pour ainsi dire à tour de rôle. Il se rend à tous les désirs de cette âme, comme cette âme accomplit tout ce qu’il commande.
Le Chemin de perfection est le traité "ascétique" de Thérèse d’Avila. Mais il est ordonné à la plus grande joie : celle de l’amitié parfaite avec Celui qui nous a tant aimés. Amitié à laquelle est suspendue la vie de l’Église et du monde.
Pratique