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Anne de Jésus, la fille spirituelle de sainte Thérèse d’Avila

Portrait d'Anne de Jésus, couvent San José d'Ávila / Thérèse d'Avila par Rubens

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Morgane Afif - publié le 03/03/24
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Alors que le pape François a reconnu, le 14 décembre 2023, l'héroïcité des vertus d'Anne de Jésus, la fille spirituelle de Thérèse d'Avila, Aleteia retrace l'histoire de celle à qui l'on doit l'expansion du Carmel thérésien en Europe. L'Église la fête le 4 mars.

Novembre 1545. Un nouveau-né est baptisé à Medina del Campo, à quelques kilomètres de Valladolid en Castille-et-León. Cette fragile enfant, qui a reçu le prénom d’Anne, future Anne de Jésus et amie de Thérèse d'Avila, est née sourde et muette le jour même. Fille de don Diego de Lobera et de dona Francesca de Torrès, Anne naît dans une famille aimante de la petite noblesse espagnole qui a déjà accueilli un premier enfant, Cristobal. Le silence d’Anne semble la destiner déjà, à peine sortie du sein maternel, à la vie d’oraison qui l’attend par-delà le territoire de son pays natal. Très loin, tout au nord, les Pyrénées dessinent la frontière qu’il lui fallut franchir pour faire rayonner en Europe le nouveau Carmel.

L’amitié du Christ incarné dans le Saint-Sacrement

Anne n’a que quelques mois quand son père, don Diego, est rappelé à Dieu. Veuve, sa mère Francesca se réfugie dans la prière pour assumer l’éducation de ses deux enfants malgré la perte douloureuse de son époux bien-aimé. Inlassablement, elle implore le Seigneur de lui accorder la guérison miraculeuse de sa fille dont le handicap rend l’avenir incertain. Malgré sa surdité, Anne reçoit avec son frère l’éducation que sa naissance impose et reçoit de sa mère l’exemple d’une vie de prière intense. Au sein du foyer, nombreuses sont les images pieuses suspendues aux murs : où qu’erre le regard, il peut se poser sur un crucifix ou une vierge pour rappeler que Dieu est là et qu’il veille sur la famille Lobera.

Anne grandit ainsi dans l’amitié du Christ incarné dans le Saint-Sacrement à qui elle rend visite régulièrement.

Anne grandit ainsi dans l’amitié du Christ incarné dans le Saint-Sacrement à qui elle rend visite régulièrement. Le silence imposé par son mutisme se meut peu à peu en un silence d’amour, celui du dialogue de l’âme avec son Créateur, jusqu’à ce qu’enfin, la prière de Francesca soit exaucée. Anne a 7 ans et, pour la première fois de sa vie, sa langue se délie pour prononcer ses tout premiers mots : "Ave Maria". Tout naturellement, Anne grandit en intimité avec celle à qui elle a adressé cette première prière qui lui est d’un grand secours quand survient à 9 ans le grand drame de sa vie lorsque sa chère maman, Francesca, meurt à son tour. Anne et son frère Cristobald sont alors confiés à leur grand-mère maternelle.

Une âme toute livrée à son Seigneur

Son amour de Dieu fait naître en son cœur de petite fille, à 10 ans, le désir de se consacrer toute entière à Celui qui l’a créée. Alors que les années passent, Anne gagne en beauté et en grâce. Face à l’élégance de cette jeune femme qui, à 14 ans, approche en cette Espagne du XVIe siècle, l’âge de se marier, sa grand-mère cherche à assurer par un mariage intéressant l'avenir de sa petite-fille. Pour échapper à l’ambition de son aïeule et demeurer fidèle à son vœu de virginité, Anne s’enfuit, avec son frère, avant de revenir finalement auprès de celle qui lui a déjà trouvé un prétendant. Anne a le cœur sanguin de cette jeunesse espagnole qui a su conquérir toute sa noblesse d’âme. Elle brille par un coup d’éclat qui révèle l’entièreté de son caractère lorsque, lors d’une réception familiale, elle paraît vêtue d’un drap noir, sa belle et longue chevelure coupée en une infâme coiffure. Face à l’inflexibilité de sa décision, tous s’inclinent : à 16 ans, Anne se fiance à l’amoureux que son âme appelle Jésus.

Face à l’inflexibilité de sa décision, tous s’inclinent : à 16 ans, Anne se fiance à l’amoureux que son âme appelle Jésus.

C’est en 1560 que Cristobald entre dans la Compagnie de Jésus, tandis qu’Anne, consumée par l’amour de son Seigneur, s’oublie dans une vie austère de prière et de jeûne où elle se voue au soin des malades, sans pour autant rien perdre de sa joie ni de la finesse d’esprit qui forçait l’admiration de ses proches. Sa réputation croît tandis qu’Anne peine à trouver l’ordre qui corresponde à son désir ardent d’un amour absolu. En 1569, alors que Thérèse d’Avila a entrepris de réformer le Carmel, Anne tombe gravement malade et frôle la mort, sans encore avoir trouvé le cloître qui sût accueillir ses prières. Son directeur spirituel, nommé à Tolède, rencontre là-bas la grande réformatrice qui vient d’y fonder un couvent. C’est lui qui mène Anne à Thérèse.

L'extase de sainte Thérèse d'Avila, Rubens, Rotterdam, Musée Boijmans Van Beuningen.

Anne a 24 ans lorsqu’elle entre au Carmel de Saint-Joseph d’Avila où sainte Thérèse est prieure. Puisqu’elle revêt le scapulaire le 1er août 1570, en la fête de saint Pierre-aux-Liens, elle demande à prendre le nom d’Anne de Saint-Pierre. Thérèse pourtant, a déjà réservé un nom pour sa jeune novice. Ana de Lobera devient Anne de Jésus. Naît alors une amitié spirituelle incomparable entre ces deux âmes nobles et ardentes. Quand Thérèse part pour fonder un carmel à Salamanque, elle appelle Anne de Jésus à ses côtés, à qui elle confie la responsabilité des autres novices. Le 22 octobre 1571, dans la chapelle du carmel, la jeune fiancée épouse enfin celui qu’aime son âme. Alors qu’elle professe ses vœux religieux pour consacrer sa vie sans retour, Anne de Jésus entre en extase. 

Anne de Jésus et la grande réforme thérésienne du Carmel

Ancien couvent des Carmélites rue Saint-Jacques, dessin à la plume, encre de Chine et aquarelle

Anne de Jésus devient alors l’amie proche de la Madre du Carmel qui lui confie les troubles et les consolations que traverse son âme et lui demande conseil alors que de nombreux adversaires s’opposent, parfois violemment, à sa réforme. Imprégnée par la pensée thérésienne, de l’oraison au "Solo Dios basta" (Dieu seul suffit), Anne de Jésus rencontre le frère spirituel de la grande réformatrice du Carmel, saint Jean de la Croix. Le poète mystique admire en elle la fermeté d’une âme toute livrée à son Seigneur. Lorsque Thérèse d’Avila est rappelée au Père, en 1582, c’est Anne de Jésus qui, accompagnée de Jean de la Croix, sillonne les routes d’Espagne, puis d’Europe, pour faire rayonner l'œuvre et la réforme de la Madre, au prix d’une lutte acharnée et de nombreuses humiliations.

C’est à Anne de Jésus que le Carmel déchaussé doit son expansion en France, d’abord à Paris, où elle est appelée par Pierre de Bérulle en 1604, puis à Pontoise et à Dijon, un an plus tard, avant de s'étendre en Belgique. Toute rayonnante d’un amour zélé et absolu pour l’Époux divin, éprouvée par sa propre "nuit de la foi" et par les maladies, Anne de Jésus entre dans la vie le 4 mars 1621 après une longue existence de labeur au service de l’Église et du peuple de Dieu. Morte en odeur de sainteté, son procès en béatification s'ouvre la même année, avant de s'arrêter puis de reprendre à de nombreuses reprises. Le 14 décembre 2023, le pape François a reconnu les vertus héroïques de la vénérable Anne de Jésus qui sera béatifiée cette année, en 2024. Celle qui fut l’épouse du Christ, tout aussi humble mais plus discrète que la grande Thérèse dont elle fut la disciple, a laissé au monde l’exemplarité d’une vie toute livrée à l'amour de Dieu, ainsi que le témoignage brûlant d’une pieuse dévotion au Christ-Eucharistie.

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