Elle partage avec quelques autres martyrs, illustrant les différents états de vie chrétiens, la gloire d’être nommée au canon de la messe, après la consécration, dans le second dyptique, illustration de la communion des saints. Ceux qui y figurent appartiennent au cercle privilégié des intercesseurs favoris des commencements de l’Église ; hélas, nous n’avons, pour nous renseigner sur sainte Agathe, qu’une « Passion » tardive dont il n’y a pas grand-chose à tirer. Une seule chose est à sûre : elle périt le 5 février 251 à Catane, en Sicile, durant la persécution de Dèce.
Le sacrifice aux idoles
Agatha, « Bonne » en grec, est un prénom de baptême. Dans l’un des rares passages recevables de sa Passion, elle se revendique de naissance libre, « et même clarissime », noble, ce qui, juridiquement, la soustrait aux traitements dégradants réservés aux esclaves et plébéiens, la protège de la torture et lui accorde une mort rapide par le glaive. Depuis longtemps déjà, les prévenus chrétiens de naissance noble refusent d’en faire état, pour n’être pas privilégiés par rapport à leurs frères d’humble condition et Agathe ne s’en targue pas, se bornant à répondre à la question.
L’édit de Dèce, destiné à renforcer la cohésion sociale de l’Empire menacé de toutes parts, exige de tous ses habitants qu’ils sacrifient publiquement à Rome divinisée.
Son passionnaire tardif, amateur de romans édifiants sanglants, affirme qu’elle a été dénoncée comme chrétienne par un amoureux éconduit. La chose est fréquente : demander en mariage une fille qui a choisi le Christ pour époux et refusera donc le mariage est un moyen de pousser les fidèles à se démasquer et permet de faire main basse sur la fortune de la condamnée, dont le délateur hérite. Ce pourrait donc être exact mais, en 251, il y a plus simple pour obliger les chrétiens à se révéler. En effet, l’édit de Dèce, destiné à renforcer la cohésion sociale de l’Empire menacé de toutes parts, exige de tous ses habitants qu’ils sacrifient publiquement à Rome divinisée. Dèce, et de très nombreux fidèles, clergé compris, y voient un geste civique sans portée religieuse, mais, pour les chrétiens conséquents, à la suite du pape Fabien supplicié le 20 janvier 250, il s’agit d’un sacrifice consenti aux idoles, donc d’une apostasie, qu’ils refusent au péril de leur tête. Convoquée au temple pour s’acquitter de la formalité, Agathe refuse de jeter l’encens sur l’autel, ce qui l’envoie devant le tribunal.
Elle défie le juge exaspéré
Par malchance, le magistrat sicilien croit se faire bien voir en hauts lieux en se montrant intraitable et la prévenue, pour jeune et belle qu’elle soit, lui déplaît souverainement. Il lui assène qu’il trouve choquant, si elle est fille de grande famille, de la voir vêtue comme une souillon et adonnées à des tâches serviles. Agathe répond qu’elle est la servante du Seigneur, se vêt et se conduit comme telle, ce qui équivaut à renoncer à ses droits légaux. Dès lors, le juge peut tout se permettre. La livre-t-il un mois à la patronne d’un lupanar qui la laisse en compagnie de « ses filles » afin de la faire renoncer à son vœu de virginité en la tentant à coups de beaux atours, parfums, repas fins, lits de plume et autres délices ? On peut en douter, en revanche la jeune fille est emprisonnée dans un cachot obscur, ce qui devrait la pousser à abjurer. Ce n’est pas le cas.
La plupart des suppliciés ne passent pas la nuit mais, soudain, la pénombre s’illumine et un vieillard apparaît à Agathe, se disant un médecin chrétien venu la soigner.
Le juge exaspéré, lorsque lors de la comparution suivante, Agathe le défie, la gifle : insulte que nulle patricienne ne saurait tolérer et la livre aux bourreaux. Conformément aux souhaits impériaux, le but est de pousser les chrétiens à apostasier, pas de les tuer mais les tourmenteurs ont souvent la main lourde et les patients succombent. Surtout lorsque l’on recourt à l’horrible torture des griffes de fer qui déchirent le corps jusqu’à mettre les organes internes au jour. C’est au cours de cette séance que la vierge chrétienne a les seins arrachés et non tranchés à la cisaille comme le dit la Passion. On la ramène ainsi mutilée à son cachot. La plupart des suppliciés ne passent pas la nuit mais, soudain, la pénombre s’illumine et un vieillard apparaît à Agathe, se disant un médecin chrétien venu la soigner. Chastement, elle refuse qu’un homme la touche, ne voulant d’autres soins que ceux de Dieu. Alors, l’inconnu se révèle dans sa gloire : il est l’apôtre Pierre qu’elle vénère et c’est le Christ qui l’envoie la guérir. Aussitôt, les plaies d’Agathe se ferment.
Un tremblement de terre
Pieuse légende ? Probablement pas. Dans les Actes des martyrs de Lyon, de 177, authentiques et dénués de tout détail fantaisiste, saint Irénée raconte un événement analogue avec le diacre Sanctus de Vienne. Après lui avoir infligé des brûlures sur tout le corps, au point que le malheureux, « recroquevillé de douleur » ne supporte pas qu’on le touche, les bourreaux ont la surprise effarée de voir les blessures du martyr cicatriser alors qu’ils tentent de lui en infliger d’autres. Quant aux saints qui descendent du ciel soutenir leurs dévots dans l’épreuve, l’histoire de la sainteté en connaît maints exemples. Agathe et Pierre, c’est tout à fait possible.
Quant aux saints qui descendent du ciel soutenir leurs dévots dans l’épreuve, l’histoire de la sainteté en connaît maints exemples. Agathe et Pierre, c’est tout à fait possible.
Découvrant guérie sa victime, le juge ordonne qu’on la livre derechef aux bourreaux et qu’on ne lui épargne rien, mais, à l’instant où il prononce ces mots, un tremblement de terre ébranle violemment Catane et une partie du prétoire s’écroule, écrasant les deux assistants du magistrat qui s’enfuit. Agathe est-elle sauvée ? Non, car elle ne veut pas être privée de la palme du martyre. Soudain, elle glisse au sol, morte, victime du séisme ou des supplices, on l’ignore. Sa tombe devient un lieu de pèlerinage vénéré, et lorsque l’année suivante, pour le premier anniversaire de sa mort, l’Etna entre en éruption et menace Catane, la population, païens compris, va chercher le voile qui couvre son tombeau dont l’ostension arrête la coulée de lave. Patronne de la Sicile, Agathe n’a plus jamais depuis cessé de conjurer les colères du volcan. Elle est la patronne des nourrices, des mères qui allaitent et elle est invoquée contre les maladies des seins.