Dans notre monde où l’uniformisation liée à la mondialisation économique a entraîné, par contrecoup, des replis identitaires, beaucoup de communautés restent crispées sur leurs traditions, en ignorant superbement la richesse de celles des autres. Or, le récit de l’évangéliste Matthieu, en rapportant la visite des mages au nouveau-né de Bethléem, contredit en partie ce constat d’enkystement spirituel. Qui étaient-ils, ces savants qui se mirent en route à la vue de l’étoile ? Ils appartenaient selon toute vraisemblance à une classe de devins ou d’astrologues attachés à une cour royale. Leur rôle ? Scruter le ciel dans le but de deviner si telle décision politique, ou telle expédition militaire, serait couronnée de succès. Ainsi, non seulement ils étaient étrangers, de par leur appartenance ethnique, à l’attente messianique du peuple de l’Alliance, Israël, mais de plus leur science était assez mercenaire, et ne possédait pas le caractère désintéressé de celle d’un Thalès ou d’un Ptolémée.
Pourtant, même si rien ne les prédisposait de prime abord à rencontrer le Messie d’Israël, à la vue de l’étoile ils vont se mettre en route, en quête d’une vérité qui les dépasse et qui, de surcroît, n’est apparemment d’aucune utilité à leurs maîtres. Car l’appel de la vérité est tellement puissant qu’il est capable de pousser certains à passer outre leurs sensibilités culturelles ou leurs simples intérêts pour aller la rejoindre. L’Épiphanie illustre parfaitement cette force irrésistible de la vérité. La recherche désintéressée des mages nous enseigne que la lumière du Christ parle à tout homme, quelle que soit la civilisation dans laquelle il a baigné auparavant. Il n’existe pas de fatalité culturelle qui empêcherait quiconque de rencontrer Celui qui affirmera, dans l’évangile de Jean, être la Vérité en personne, la seule conduisant au Père (Jn 14, 6).
Un garant de la fraternité universelle
La bonne nouvelle révélée par l’Épiphanie, en manifestant la force d’attraction du Christ sur les mages, démontre qu’il est toujours possible pour les hommes de progresser sur la voie de la recherche d’une vérité capable de réunir les hommes, au-delà de leurs traditions. En effet, il est souvent salutaire, pour les hommes religieux de toutes confessions, que leurs convictions immémoriales et pétrifiées dans les coutumes, soient bousculées par une vérité supérieure. Car, au fil des siècles, leurs croyances ont pris force de loi au point d’être devenues d’autant plus paralysantes qu’elles confondent un peu vite traditions et vérité, ce qui peut entraîner rejet et suspicion à l’égard de ceux qui ne les partagent pas.
C’est ici que l’on mesure la puissance libératrice et pacificatrice que l’Église célèbre à l’Épiphanie. La manifestation du Christ aux mages, et à travers eux à tous les chercheurs de vérité, démontre qu’il n’existe pas de fatalité historique à ce que les hommes de bonne volonté, venant d’horizons culturels différents, continuent à ignorer que le Dieu qu’ils adorent dans leurs traditions porte en fait le doux et ineffable Nom de « Père » — un nom propice non seulement à la paix, mais aussi à la fraternité entre les hommes. En ces temps marqués par les replis et crispations identitaires, cet appel à la fraternité que lance au monde le Fils du Père le jour de l’Épiphanie en se manifestant publiquement à tous, n’est pas à négliger.