En ce 1er janvier, nos regards sont à nouveau tournés vers la crèche. Nous sommes invités à la contempler avec le regard des bergers. Les anges sont repartis, ils font place à la foule des anonymes qui s’étonnent du discours des bergers, il y a les incrédules et les croyants, qui convergent vers la modeste étable. Il y a bien sûr Joseph et Marie, en fond de décor, sans doute entre l’âne et le bœuf. Et puis au centre, l’enfant Dieu, le nouveau-né couché dans la mangeoire. Et puisque ce nouveau-né est "l’enfant-Dieu", nous disons de Marie qu’elle est "Mère de Dieu". C’est le titre qu’on lui donne, dans cette fête qui clôt l’octave de Noël.
En Marie, le mystère de notre vocation
Mère de Dieu ou fond de décor dans la crèche ? Qui est véritablement Marie, cette jeune fille de Galilée qui accueille l’ange Gabriel, cette femme au pied de la croix, cette sainte honorée en tant de sanctuaires de par le monde ? À vrai dire, Marie est mal connue des catholiques. Sainte Thérèse de Lisieux disait n’avoir jamais entendu de bonne homélie sur la Vierge Marie (et je ne suis pas sûr que celle-ci fasse exception !). Les catholiques prient Marie, c’est certain… la connaissent-ils pour autant ? Et pourtant en elle, nous contemplons le mystère de notre vocation. Dieu ne fait pas de Marie une exception, une statue dans un globe de cristal, bien à l’abri de l’humanité. Femme, pleinement de notre humanité, elle est celle qui accueille totalement le Verbe de Dieu. Elle est la première de l’Église en ce qu’elle est la première à accueillir le Sauveur. Assumée en Dieu, corps et âme, elle est la première à parcourir le chemin ouvert par son Fils sur la croix. En Marie, nous voyons comme en miroir ce que chacun de nous est appelé à devenir. Non pas un globe, mais fils et filles de Dieu… et mère de Dieu.
Dieu s’est fait homme, c’est le mystère que nous fêtons à Noël. Il s’est remis dans les mains de Marie, qui est pleinement mère de Dieu. Mais elle n’a pu l’être qu’en se remettant elle-même dans les mains de Dieu, car elle n’est rien sans Lui. Voilà les trois aspects du mystère que nous pouvons contempler en ce dernier jour de Noël.
Dieu s’est fait homme et il défie notre logique
En toute logique, il est impossible que Marie soit "mère de Dieu". Et c’est pourtant le cas. Il est impossible que Marie soit "mère de Dieu" car Dieu n’a pas de début. "Comment il a fait Dieu pour créer sa maman ?" c’est la question redoutée de tant de catéchistes lorsqu’ils s’engagent sur ce terrain où la logique enfantine ne se laisse pas démonter par les arguments des théologiens. Pour bien comprendre, il nous faut faire un bon de 1.600 ans dans l’histoire. Lorsque les premiers chrétiens donnent à Marie le titre de "Mère de Dieu" (lors du concile d’Ephèse en 431), il ne s’agit pas tant d’un dogme sur Marie… que sur Jésus. Il s’agit d’affirmer que Jésus est vrai Dieu et vrai homme. Il n’y a pas deux personnes en Jésus, l’une qui viendrait de Dieu (le Fils de Dieu) et l’autre qui viendrait de Marie (Jésus). Jésus est à la fois Dieu et homme. Et donc tout ce que l’on dit de Jésus dans son humanité peut se dire aussi dans sa divinité. Et puisque Marie est mère de Jésus, elle est donc mère de Dieu.
Dieu a assumé l’humanité, non pas pour que nous la quittions, mais pour que nous devenions pleinement hommes, et qu’ainsi nous puissions devenir fils de Dieu.
En résumé, reconnaître Marie comme "mère de Dieu" c’est prendre la mesure du mystère de Noël. On met Marie dans la crèche, parce que sans Marie, il n’y a pas Jésus. Mais on fait la crèche, parce que Jésus est Dieu. Cet enfant de la crèche est vraiment Dieu. Et si depuis tant de générations la crèche tient une place si importante dans nos vies, ce n’est pas pour un vague souvenir d’enfance, c’est que nous percevons mystérieusement qu’il y a là la clef de notre humanité. Nous sentons bien que nous avons nous aussi notre place dans le mystère de la crèche. Dieu s’est fait homme pour que l’homme ne soit plus jamais coupé de Dieu. Comme le dit saint Paul, "il est né d’une femme pour que nous soyons adoptés comme fils" (Gal 4, 4). Marie est mère de Dieu pour que nous soyons enfants de Dieu.
La conséquence directe de cela c’est que nous n’avons pas à chercher Dieu dans les nuages, par une espèce de mystique désincarnée. Regardez les bergers : c’est dans l’étable de Noël qu’ils rencontrent Dieu. Nous n’avons pas à chercher Dieu en fuyant notre humanité, mais en l’accomplissant, en allant jusqu’au bout de notre humanité. Dieu a assumé l’humanité, non pas pour que nous la quittions, mais pour que nous devenions pleinement hommes, et qu’ainsi nous puissions devenir fils de Dieu. Il est bon de se le rappeler, au lendemain du réveillon, en ces vacances de Noël, si éprouvantes de repas familiaux, retrouvailles d’amis, kilomètres avalés pour aller dans la belle-famille, et chocolats engloutis dans des discussions sans fin. Dieu veut nous rejoindre là aussi. Je ne dis pas que tout réveillon est un lieu où l’on rencontre Dieu… mais je crois qu’en tout réveillon Dieu veut s’inviter lui aussi. Si tu relis la lettre aux Galates que nous avons entendus, tu réveillonneras en "héritier de Dieu" ! Dans le mystère de la crèche, tu découvres ainsi ta propre dignité. Dieu te fait confiance, comme il a fait confiance à Marie.
Dieu se remet entre les mains de Marie
Qu’est-ce qu’une maman ? Celle qui nous a donné le jour, celle qui nous a appris à parler, à rire, à aimer. Marie n’est pas le fond de décor de la crèche. Marie est celle qui a tout appris à Jésus… lui qui est pourtant la sagesse de Dieu. Il a accepté de se remettre totalement dans les mains de Marie. Il lui a fait une confiance infinie. Il y a quelques années, sur un chemin de campagne, j’ai proposé à mon filleul de prendre le volant de ma voiture. Du haut de ses 7 ou 8 ans, il n’était pas peu fier de la confiance que je lui faisais. Dieu n’a pas mis une voiture entre les mains de Marie : il s’est remis lui-même entre ses mains. À la question de l’enfant "comment il fait Dieu pour créer sa maman", la réponse est donc : "En l’aimant ; il l’aimait tellement qu’il a voulu qu’elle soit sa maman, il a voulu naître d’elle."
Mais là encore, Marie n’est pas une statue sous un globe de cristal. Marie est la première de l’Église, car Dieu se remet en nos mains, chaque jour. À nous aussi, Dieu fait cette confiance inouïe. J’y pense en tremblant, comme prêtre, lorsque je dois prêcher et traduire la Parole de Dieu dans les mots de mes contemporains. Comment, avec mes mots, dire la Parole de Dieu ? Mais Dieu a accepté de passer par les mots que Marie lui a donnés. Le Pape, les évêques, y pensent sans doute en tremblant eux aussi, lorsqu’ils doivent donner des règles à l’Église, décider de telle ou telle manière de faire (qui soit dit en passant sera nécessairement critiquée, hier comme aujourd’hui). Quelle décision prendre ? où aller ? que faire ? Mais Dieu a accepté de se plier aux décisions de Marie — range ta chambre, viens mettre le couvert, va puiser de l’eau, c’est l’heure de la prière, non tu es trop jeune pour nous accompagner cette année au pèlerinage à Jérusalem, tu viendras l’an prochain.
En chacun de nous aussi
Je vous le dis du Pape, des évêques, du prêtre que je suis… mais c’est un mystère que tout chrétien découvre, et pas seulement dans l’eucharistie où Dieu nous livre son corps (qu’en faisons-nous) ? Dieu se remet entre les mains de chacun de vous. Il nous confie le soin de le faire connaître aux autres. Il nous confie le soin de le faire aimer. Il nous confie le soin de son Église, de nos paroisses, de nos communautés. Il nous confie le soin des pauvres. Ce n’est pas une voiture neuve que Dieu met entre tes mains, c’est lui-même, parce qu’il a confiance en toi.
Certains trouveront peut-être qu’en disant cela, je ne fais pas de distinction entre Marie, mère de Dieu, et nous autres, pauvres clampins que nous sommes. C’est vrai. Et je l’assume, car Jésus dit lui-même "celui qui écoute ma parole et la met en pratique est pour moi un frère, une sœur, une mère" (Lc 8, 21). Toi aussi, tu peux devenir "mère de Dieu", à ta manière, différente de Marie bien sûr. Personne ne te propose de revenir 2.000 ans en arrière pour t’installer dans une étable. Mais comme elle, tu peux rendre le Christ présent dans le monde. Il veut venir à la rencontre de tes frères en passant par toi. Je peux témoigner que bien des fois, Dieu est venu à ma rencontre par un frère, une sœur, qui a eu une parole de vérité, une parole venant de Dieu. Parfois même il s’agissait de non-chrétiens, qui m’ont parlé en conscience, et Dieu m’a parlé par leur conscience. Dieu a été présent dans le monde par eux. Et n’est-ce pas le propre d’une mère que de mettre au monde son enfant ? Oui, Dieu se remet entre tes mains comme il s’est remis entre les mains de Marie. Dieu veut te faire confiance comme il lui a fait confiance, parce qu’il t’aime infiniment, et que le propre de l’amour c’est de se remettre avec confiance dans les mains de l’autre. Alors que faire ? Eh bien ! la même chose. Te remettre entre les mains de Dieu, comme Marie s’est remise avec confiance dans les mains de Dieu.
Marie n’est mère de Dieu qu’en étant fille de Dieu
Marie est d’abord fille d’Israël, fille de ce peuple élu, chargé de porter la bénédiction autour de lui, comme nous le rappelle la lecture du libre des Nombres (Nb 6, 22-27). Elle est héritière de ce peuple avec Dieu a fait alliance, elle a appris dès l’enfance à prier, à faire confiance à Dieu. Dans les enclos paroissiaux de ma paroisse, à droite et à gauche du porche, il y a l’ange Gabriel et la Vierge Marie, comme pour nous rappeler que le oui de Marie est la porte d’entrée dans le mystère du salut. Et le plus souvent la Vierge est représentée comme "Vierge au livre", c’est-à-dire tenant la Bible dans la main. Elle médite sur l’histoire d’Israël et reconnaît dans l’annonce de l’ange, ce que son peuple attendait. Marie est une femme de prière. Impossible de comprendre le mystère de la mère de Dieu si nous mettons de côté son union personnelle à Dieu dans l’intimité de sa prière. Saint Luc s’en fait l’écho dans le récit de Noël en nous disant "Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur" (Lc 2, 19). Elle fait ainsi le lien permanent entre les événements de sa vie et la Parole de Dieu.
Marie n’est pas une figure à part. Elle n’est toujours pas sous un globe de verre, ni dotée d’une connexion 5G avec le Ciel. Sa prière comme la nôtre est une prière humaine, pétrie de la Bible, marquée par les événements de sa journée, de sa semaine, de sa vie. Sa prière est parfois facile et confiante, parfois angoissée ou terne, peut-être distraite… comment ne le serait-elle pas lorsqu’elle doit surveiller les jeux de son enfant pendant qu’elle prie… s’il allait trop loin ? s’il se faisait renverser par un char sur la route derrière la colline ? Nous en aurons un autre écho lors du pèlerinage de Jésus à Jérusalem. "Vois comme nous avons souffert, ton père et moi…" (Lc 2, 48). Sa prière, comme la nôtre, est une prière de souffrance souvent.
L’année de la prière
Le pape François nous propose de mettre cette année 2024 sous le signe de la prière, pour nous préparer au jubilé de 2025. Tous les quarts de siècle, l’Église vit un jubilé pour se souvenir plus particulièrement de la naissance du Christ ! Dieu s’est fait homme ! Quelle meilleure manière de nous y préparer que de suivre le chemin de Marie pour entrer avec elle dans l’intelligence de ce mystère ? C’est l’occasion pour nous de relire tous les événements de notre vie et de les méditer dans notre cœur, sous le regard de Dieu, habités comme Marie par l’Esprit saint !
Alors que nous nous avons souvent l’habitude de prendre en début d’année de grandes résolutions (que nous ne tenons pas toujours), pourquoi ne pas choisir aujourd’hui une manière d’approfondir notre prière pendant cette année ? Cela peut-être, à l’exemple de la "Vierge au livre" de lire la Bible cette année, seul ou en groupe. Cela peut être de nous poser devant le Saint-Sacrement chaque semaine, pour contempler, avec Marie et les bergers, l’enfant de la crèche. Cela peut être de méditer avec Marie, simplement par la prière du chapelet ou de l’angélus, pour nous tourner chaque jour vers la Mère de Dieu, qui prie pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.