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Quelques questions sur le film Sacerdoce

Film Sacerdoce SAJE

"Sacerdoce", de Damien Boyer.

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Henri Quantin - publié le 06/12/23
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Y a-t-il une manière chrétienne de filmer des prêtres ? L’écrivain Henri Quantin voit dans le film "Sacerdoce" une réussite qui montre l’avenir de l’Église, mais s’interroge sur l’effet du choix des prêtres présentés et l’esthétique utilisée.

Est-il permis d’émettre quelques réserves sur Sacerdoce sans passer pour un rabat-joie ? Peut-on du moins poser quelques questions que le film soulève, sans être accusé de trahir la cause sacerdotale ? Un catholique peut-il juger une œuvre catholique en tant qu’œuvre ou doit-il taire ses impressions pour ne pas risquer de rompre un enthousiasme collectif ? Doit-il, en somme, vivre une séance cinématographique comme une liturgie, ce que firent certains devant La Passion du Christ de Mel Gibson en son temps, ou risquer ce pas de côté dans une procession qu’on appelle l’esprit critique ?

Une réussite à plus d’un titre

Pour les spectateurs émerveillés que cet avant-propos inquiète ou agace, précisons que Sacerdoce nous semble une réussite à plus d’un titre, notamment parce qu’il tient les promesses de son préambule. Témoignant face à la caméra, un jeune prêtre souriant fait un bref historique du discrédit qui pèse sur l’Église. Les trois stations de la mise au pilori se nomment Inquisition, colonisation et pédocriminalité, cette dernière considérée comme "le coup de grâce". Tout le propos du documentaire est alors de chercher une vie de l’Église après sa mise à mort. Il est donc logique que les prêtres suivis soient tous présentés implicitement comme des antidotes aux abuseurs, comme des réponses aux caricatures, comme des permis d’espérer. En caravane de village en village, devant un autel fait de bloc de neige au sommet d’une montagne, sur un vélo de course entre les clochers d’une paroisse étendue, dans un bidonville de Manille pour protéger les enfants des prédateurs qui les guettent, tous sont là pour faire comprendre aux spectateurs une idée simple : "C’est d’abord ça, un prêtre ; c’est aussi ça, l’Église ; venez et regardez, avant de cracher sans distinction." Il est bon de garder en tête cette visée démonstrative assumée du documentaire, quand on aborde les deux types de critiques auxquels Sacerdoce peut donner lieu. Les unes tiennent au choix des prêtres, les autres à l’esthétique utilisée. 

Une génération de prêtres

Pour ce qui est des prêtres choisis, des spectateurs allergiques aux soutanes, cols romains et ostensoirs ont pu regretter une certaine uniformité. Ce reproche, un peu anachronique, est de peu de poids, du moment qu’on admet l’intention initiale du réalisateur. Outre l’évidente supériorité visuelle et cinématographique de la soutane — rhabiller Montgomery Clift en sous-pull beige et La Loi du silence d’Hitchcock passe du chef-d’œuvre à la mauvaise série télé —, le documentaire ne fait que rendre manifeste, sans intention particulière, le retour d’un bon nombre de prêtres à ce que leurs aînés avaient parfois mis au placard. Sacerdoce donne à voir, sans en faire un quelconque enjeu polémique, une génération de prêtres qui portent volontiers des signes visibles de leur état de vie, mais qui n’hésitent pas, par ailleurs, à tomber le col pour faire du skate en tee-shirt "Je suis ton père" ou pour pédaler en cuissard. Regrettons toutefois au passage que ce dernier aspect donne parfois l’impression que l’anecdotique prend le pas sur l’essentiel : ainsi le père Paul, qui rêve de gagner le championnat cycliste du clergé, est-il plus mis en avant comme compétiteur sportif que comme prêtre, ce qui fait regretter que ses propos vibrants sur le sacerdoce ne trouvent guère à l’écran d’illustration pratique. 

Sur les prêtres choisis par le documentaire, une réserve nous semble plus fondée que la crispation sur les habits, qui sent le sectarisme des années soixante-dix. Cette réserve porte sur les absents et non sur les présents. On peut en effet regretter que le documentaire ne laisse nulle place à un vieux prêtre fidèle à son sacerdoce depuis soixante ans, mais qui a le mauvais goût de ne rien offrir de piquant à la caméra. Rien n’apparaît du curé sans relief apparent, ni skater ni alpiniste, qui donne sa vie dans le secret, loin de toute reconnaissance mondaine ou même ecclésiale. Le curé d’Ars n’aurait sans doute pas été invité au casting de Sacerdoce. Le curé de campagne de Bernanos non plus, mais il a déjà eu sa récompense, anonymement sanctifié par la caméra de Robert Bresson. Sans doute ce reproche trouve-t-il lui aussi sa réponse dans le projet démonstratif du film, qui ne peut faire autrement que de pimenter le propos d’un peu de spectaculaire. 

L’esthétique choisie

C’est précisément cette question du spectaculaire — au sens strict de ce qui assure le spectacle — qui amène au second type de réserves, relevant plutôt de l’esthétique choisie. Peut-être est-elle inévitable dans ce genre d’exercice, dont l’intention demeure apologétique et, par moments, quasi-publicitaire. La dramatisation par la musique, presque omniprésente, manifeste par exemple ce choix des effets appuyés. On ne peut se départir d’une impression légèrement ambivalente, quand on entend finalement résonner le beau refrain qui invite à "regarder l’humilité de Dieu". Non pas que ces prêtres, admirables en bien des points, nous semblent manquer à cette humilité, que nul ne pourrait d’ailleurs prétendre évaluer en eux, mais parce que la manière de les filmer n’est pas sans ambiguïté.

Jusqu’où peut-on, pour être audible de ses contemporains, emprunter l’esthétique de son temps, sans épouser en même temps les principes qui l’ont fait naître ?

Y a-t-il une manière chrétienne de filmer et, en l’occurrence, de filmer des prêtres ? Telle est la question que ne s’est apparemment pas posé le réalisateur. Comment révéler la beauté d’un visage sans faire de l’icône une idole ? Comment saisir un moment de grâce sans le transformer en image vendeuse ? Où et comment placer une caméra pour donner à voir sans être racoleur ? "Purifier la source" : telle est la formule par laquelle Mauriac et Maritain tentèrent de s’accorder pour chercher la juste place du romancier et du narrateur devant ce qu’il décrit. Peut-être une réflexion équivalente n’a-t-elle pas assez été menée dans le domaine cinématographique. L’affiche de Sacerdoce, qui unit soutane et coucher de soleil, est en ce sens révélatrice : elle conviendrait tout aussi bien si le prêtre était joué par un acteur hollywoodien.

Joie de découvrir des vies données 

Résumons-nous. On se réjouit du professionnalisme du réalisateur — qui tranche avec les à-peu-près de bien des documentaires édifiants —, mais on peut s’interroger sur l’esthétique qu’il a choisie et sur son degré de compatibilité avec le sujet qu’il traite. La question est finalement toujours la même : jusqu’où peut-on, pour être audible de ses contemporains, emprunter l’esthétique de son temps, sans épouser en même temps les principes qui l’ont fait naître ? Se poser la question n’empêche en rien de rendre grâce pour la joie qu’il y a à découvrir les vies données de ces hommes qui s’unissent au Christ pour être tout à tous. Si l’objectif du film est de manifester que l’Église n’est pas morte, parce qu’elle est toujours renouvelée par Celui qui est la Vie, le pari est incontestablement réussi.

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