Aux séminaristes français rassemblés à Paris ce week-end, le pape François envoie ce message : le Christ seul suffit, comme en échos à la prière de sainte Thérèse d’Avila "Solo Dios basta". Ils sont peu nombreux au regard des temps jadis, ces séminaristes, et savent de manière certaine qu’ils ne bénéficieront ni de reconnaissance sociale ni de beaucoup de crédits. Dans une société où il arrive que des prêtres en soutane soient salués "Maître !" par un passant, le terme même de séminariste n'inspire probablement plus grand-chose à l’immense majorité de nos contemporains.
Un ministère en profonde mutation
Bien sûr, il y a les fidèles, attentifs et bienveillants. Mais ils risquent forts de les étouffer à force d’attentions et de sollicitations. Un prêtre, il y a un siècle, se dépensait sans compter pour une communauté dans laquelle se retrouvaient peut-être 70% de nos concitoyens. Son remplaçant, 50 ans plus tard, se dépensait de belle manière pour une communauté en regroupant 25% d’entre eux. Aujourd’hui, leur successeur s’épuise pour un peuple dans lequel s’identifient 8% des Français. Et dans 20 ans ? On peut se donner totalement à cent brebis comme à une seule. Avec la même générosité et le même enthousiasme. Au risque de finir par lasser la dernière et lui faire perdre le goût de s’inquiéter des autres, tant elle est bien auprès de son pasteur.
Que le sacerdoce demeure, immuable dans sa mission de médiation et d’accompagnement, cela ne fait pas de doute. Car c’est son essence même que de contribuer à ouvrir les cœurs et les esprits sur la présence du Christ, et de présenter à sa suite les prières de toute l’humanité. Mais il faut être aveugle pour ne pas mesurer que l’exercice de ce ministère, de ce service, est entré dans une profonde mutation. Sur ce service, nul n’a la main, pas plus ceux qui le prétendaient il y a 40 ans que ceux qui s’imaginent y être parvenus aujourd’hui. Chaque tentative récente de théoriser ou d’imposer un modèle vole en éclat dans les tartufferies ou les dérives sectaires. C’est bien en effet l’Esprit, et lui seul, qui dégage un chemin. Un chemin qui progresse car rien n’est immobile sinon la mort. Voilà bien pourquoi, notamment, il faut chercher à s’accrocher au Christ, en vérité et en intimité. Et à trouver là sa joie.
Apprendre à recevoir
Ce n’est pas simple. Car la fidélité n’est pas simple, pas plus que la prière et l’abandon de sa volonté propre pour communier à une autre, en vraie confiance. Mais c’est là que l’aventure est belle. Qu’elle est même magnifique. Car rien n’est écrit d’avance : le prêtre n’est pas un interprète d’un texte immuable et qu’il n’aurait qu’à réciter. Il est, comme d’ailleurs tout baptisé, appelé à scruter la Parole tout en aimant découvrir le monde, à goûter la Présence tout en s’attachant à aimer son prochain. Il lui faut renoncer à vouloir tout définir tout expliquer, tout savoir, pour apprendre à recevoir et à découvrir. Sinon, comment s’émerveiller des sacrements qu’il préside ? Comment pleurer et se réjouir des peines et des bonheurs de ceux qu’ils rencontrent ? Comment surtout garder le "goût de Dieu" s’il s’habitue à en définir les caractéristiques ?
Nous sommes de pauvres hommes appelés à une mission magnifique car toujours ouverte aux appels du Vivant. Et c’est notre grandeur que de la vivre comme un appel renouvelé à l’humilité, et au renoncement à faire de soi un modèle mondain.
S’attacher au Christ, c’est peut-être d’abord traduire en actes la vérité première qui invite à reconnaître que Jésus est le seul vrai médiateur et le seul pasteur. Et que, s’il agit en nous, prêtres et laïcs, de différentes manières, il ne se laisse enfermer par aucun de nos rites ni aucun de nos discours. Il nous "condamne" à être des éternels curieux de sa grâce et découvreurs émerveillés de son œuvre.
Une mission magnifique
Je me souviens d’un chef scout il y a quelques années qui venait me trouver, effondré de la réponse d’un aumônier aux jeunes qui partageaient leurs doutes. Il leur avait répondu en concluant sa démonstration ainsi : "Je vous dis tout cela et je ne peux me tromper car j’ai reçu la grâce à mon ordination." Le chef était désemparé par ce ton péremptoire et par les moqueries polies mais certaines des jeunes à qui ces mots avaient été adressés. Nous n’avons ni super-pouvoirs, ni omniscience. Nous sommes de pauvres hommes appelés à une mission magnifique car toujours ouverte aux appels du Vivant. Et c’est notre grandeur que de la vivre comme un appel renouvelé à l’humilité, et au renoncement à faire de soi un modèle mondain.
"Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout ; celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit. Élève ta pensée, monte au ciel, ne t’angoisse de rien, que rien ne te trouble. Suis Jésus-Christ d’un grand cœur, et quoi qu’il arrive, que rien ne t’épouvante. Tu vois la gloire du monde ? C’est une vaine gloire ; il n’a rien de stable, tout passe. Aspire au céleste, qui dure toujours ; Fidèle et riche en promesses, Dieu ne change pas. Aime-Le comme Il le mérite, Bonté immense ; mais il n’y a pas d’amour de qualité sans la patience. Que confiance et foi vive maintiennent l’âme, celui qui croit et espère obtient tout. Même s’il se voit assailli par l’enfer, il déjouera ses faveurs, celui qui possède Dieu. Même si lui viennent abandons, croix, malheurs, si Dieu est son trésor, il ne manque de rien. Allez-vous-en donc, biens du monde ; allez-vous-en, vains bonheurs : même si l’on vient à tout perdre, Dieu seul suffit. Ainsi soit-il" (Ste Thérèse d’Avila).