L'histoire de sœur Gloria Cecilia est emblématique de la souffrance des chrétiens dans la région du Sahel, durement touchés par les persécutions. Enlevée par des groupes djihadistes au Mali, elle est libérée en octobre 2021, après cinq années de souffrance et de mauvais traitements. Depuis sa libération, la franciscaine de Marie Immaculée partage son témoignage partout dans le monde tout en appelant à la fraternité. Récemment, elle a même été invitée à rédiger la préface du rapport de l’AED sur la liberté religieuse publié le 22 juin. Alors qu’elle menait une existence paisible et fraternelle au Mali, pays à majorité musulmane (98%), la vie de sœur Gloria a basculé le 7 février 2017 à neuf heures du soir.
"Dans la maison, nous étions quatre sœurs (une Africaine et trois Colombiennes). Nous nous occupions de treize enfants atteints d'une maladie contagieuse, lorsque quatre hommes lourdement armés de mitraillettes, de machettes et de revolvers sont entrés par effraction et ont commencé à nous insulter", a-t-elle confié lors d'un entretien à l'édition espagnole d'Aleteia. "J'ai offert ma vie pour que mes sœurs ne soient pas blessées." Sœur Gloria va ainsi passer 1.680 jours à se déplacer d'un endroit à un autre dans le désert du Sahara avant de retrouver la liberté. "Sans aucun doute, cela a été l'une des expériences qui a le plus transformé ma vie spirituelle, témoigne-t-elle. Aujourd'hui, avec le recul, je crois que, même si cela semble paradoxal, c'était peut-être l'une des plus grandes bénédictions que Dieu m'ait données".
Aleteia: En êtes-vous venue lors de votre captivité à demander à Dieu pourquoi il a permis votre enlèvement ?
Sœur Gloria Cecilia: Bien sûr. Plusieurs fois dans le silence du désert je lui ai demandé pourquoi il permettait cette souffrance. Je lui ai dit : "Mon Dieu, combien de temps durera cette torture, combien de temps ?" Parce que j'ai vu passer les jours, les années et j'étais toujours là, avec les terroristes, dans ce milieu hostile qui vit jour et nuit en cavale, sans paix. Cependant, la communion spirituelle m'a donné la force de tenir pendant les presque cinq années d'enlèvement, ainsi que les prières de tant de personnes de toutes les religions qui ont demandé ma libération.
Cette épreuve a-t-elle eu des conséquences sur votre foi ?
Comme on dit, il n'y a pas de mal qui n'advienne pas pour le bien. Cet enlèvement m'a permis de vivre plus intensément ma vie consacrée. J'ai réalisé qu'avant cet enlèvement j’étais une religieuse en retrait. Cette expérience m'a aidée à me mettre à la place de ceux qui souffrent, de ceux qui sont privés de liberté et de traiter tout le monde avec la miséricorde avec laquelle Dieu nous traite. Bien que ce furent des années difficiles, je peux dire avec certitude que mon esprit n'a jamais été kidnappé et que le Seigneur m'a surprise avec les merveilleux cadeaux de Sa Création tels que des couchers de soleil, des cieux étoilés...
Cette expérience m'a aidée à me mettre à la place de ceux qui souffrent, de ceux qui sont privés de liberté et de traiter tout le monde avec miséricorde.
La miséricorde de Dieu m'a soutenue. Sinon, comment expliquer que, parmi mes ravisseurs, il y avait toujours un homme bon qui nous lançait un morceau de pain ou allait à minuit nous donner de l'eau ? Je n'ai jamais – pas une seule fois – cessé de rendre grâce à Dieu de m'avoir permis de me réveiller et de vivre au milieu de tant de difficultés et de dangers : comment ne pas te louer, te bénir et te remercier, mon Dieu ? Parce que tu m'as remplie de paix face aux insultes et aux mauvais traitements !
Priez-vous toujours pour vos ravisseurs ?
Je continue de prier pour eux, tout comme je le faisais là-bas. Je souhaitais qu'aucun d'entre eux ne meure, je les ai présentés au Seigneur et à Marie. Ma prière quotidienne est pour les otages, pour les missionnaires et pour mes ravisseurs, afin qu'ils convertissent leurs cœurs.
'ai été enchaînée pendant longtemps et constamment menacée de mort. Quand ils allaient dire leur prière, ils venaient me cracher dessus.
J'ai été kidnappée par des groupes djihadistes d'Al-Qaïda mais ils nous ont ensuite remis à un groupe islamiste qui persécutait des communautés religieuses et des prêtres dans le nord du Mali. J'ai été enchaînée pendant longtemps et constamment menacée de mort. Quand ils allaient dire leur prière, ils venaient me cracher dessus et me maltraiter, ils disaient qu'ils ne seraient jamais amis avec une personne d'une autre religion, et encore moins avec une religieuse. Mais j'ai prié pour eux afin qu'ils comprennent que nous pouvons être frères et vivre en fraternité.
Y a-t-il une image, un souvenir de cette période qui vous habite plus particulièrement depuis votre libération ?
Le moment le plus dur de ma captivité a peut-être été la mort de Béatrice, une jeune femme suisse, protestante et compagne de route avec qui nous avons vécu de nombreuses années en captivité. Ce fut une grande douleur pour moi et pour la société suisse qui était présente au Mali avec des projets d'aide humanitaire.
La prière devant Jésus Eucharistie m'a aidée à guérir à cent pour cent.
C'était une personne pleine de valeurs et ils l'ont tuée presque à la fin parce qu'une fois, elle leur a mal répondu quand ils ont fait pression sur nous pour nous convertir à l'islam. Avec une autre camarade, nous avons entendu les coups de feu et regardé le moment où ils l'ont emmenée. Je prie beaucoup pour son repos éternel, c'est vraiment une martyre.
Vous avez indiqué qu'après ce qui s'est passé en Afrique, votre meilleur psychologue a été Jésus...
La prière devant Jésus Eucharistie m'a aidée à guérir à 100% bien qu'il y ait des souvenirs douloureux que je porte encore en moi. Par exemple, je suis trop sensible à la douleur des gens, aux conditions inhumaines dans lesquelles vivent tant de sociétés.
Avez-vous reparlé au pape François récemment ?
Je ne lui ai pas reparlé, mais je prie intensément pour sa santé, tout comme ma congrégation. Le pape François nous a donné un témoignage exemplaire du vrai missionnaire, quand il fait des visites même en fauteuil roulant, par exemple, lorsqu'il a visité le Soudan. Quand je l'ai vu à la messe au Vatican, juste après ma libération, je me souviens très bien de ce qu'il m'a dit : "Tu as soutenu l'Église et l'Église t'a soutenue."
Où exercez-vous actuellement votre mission ?
Par la grâce de Dieu, je suis dans une mission dans le diocèse de Tumaco, sur la côte pacifique du sud de la Colombie, où ma congrégation est présente pour aider en particulier les pauvres et les enfants à travers des cuisines communautaires. Nous visitons aussi les malades, les familles, les personnes âgées... toujours présentes pour venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin.
Entretenez-vous l'illusion, comme vous l'avez dit précédemment, de retourner en Afrique ?
Les trois sœurs colombiennes qui étaient là au moment de mon enlèvement ont demandé à revenir (Clarita et Sofía sont les deux autres). Je serais ravie de retourner en Afrique, où nous poursuivons la mission au Bénin et avons la possibilité d'assurer une nouvelle présence, non plus au Mali, mais dans un pays voisin. Mais la vérité est que Tumaco est une autre Afrique, les besoins de la population sont également énormes. Là, nous travaillons aussi pour soigner les brebis malades.