L’atlantisme de la vieille droite a de beaux jours devant lui. Que le président Macron affirme, au retour de Chine et à propos de Taïwan, que l’Europe ne doit pas se laisser entraîner "dans des crises qui ne sont pas les siennes", ce qui est son droit, et peut-être même son devoir, voilà une posture insupportable à la frange massive des Européens qui n’ose plus penser par elle-même. On nous explique que Macron a blasphémé : il a osé mettre en doute la pertinence du choc bipolaire entre l’Amérique et la Chine. Pensez donc, il a appelé les Européens à "ne pas suivre la politique américaine par une sorte de réflexe de panique". Le Figaro parle de "faux pas" dans son titre, des journaux étrangers emploient le mot de "gaffe" ou de "faute", et même quelques sénateurs américains lèvent paresseusement un sourcil indigné.
Une autre partition
Rappelez-vous : les mêmes commentateurs poussèrent les mêmes cris d’orfraie et levèrent les mêmes sourcils indignés quand, il y a trente ans, Jacques Chirac osa émettre des doutes sur l’opportunité d’envahir l’Irak pour apporter un régime démocratique et stable à ce pays encombré d’armes de destructions massives. Que n’avait-on entendu ! Il se trouve aujourd’hui bien des Européens, et pas seulement des Polonais, pour n’avoir rien appris et rien oublié, pour avoir risqué toute leur mise sur les États-Unis, au point de nier l’existence même d’une Europe dotée d’une volonté et d’intérêts propres. La vieille Europe chrétienne n’en finit pas, avec eux, de sombrer dans les poubelles de l’Histoire.
Ne reprochons pas à Emmanuel Macron, quels que soient les motifs d’exaspération qu’il nous donne par ailleurs, de jouer une autre partition. Ne lui reprochons pas de chercher à comprendre notre intérêt national dans un monde qui a cessé de se faire peur pour de rire et se prépare chaque jour au vrai match, celui de la guerre de tout le monde occidental contre tous les autres. Reprochons-lui tout ce qu’on veut, mais pas de faire entendre une voix différente, qui est précisément la voix que seule la France peut porter en ce moment.
Promouvoir la paix
Ceux qui connaissent un peu la Chine se rappellent que jusqu’au temps de Hu Jintao, la devise implicite de cet immense pays matérialiste revenu si vite de tant de malheurs et de tant de misère, semblait être "plus occidental que moi, tu meurs" ! Les Chinois nous copiaient parce qu’ils voulaient nous ressembler. Quinze ans plus tard, le même pays, dont le PIB a triplé, dont les mauvais souvenirs se sont atténués, dont les ambitions se sont aiguisées, fait mine de rêver avec Xi Jinping de bâtir un monde désoccidentalisé. Faut-il reprocher à Emmanuel Macron de conjurer ce piège ? Plutôt que de contribuer à la construction d’un monde bipolaire et d’un Occident encerclé, l’Europe se doit d’imaginer la construction d’un monde multipolaire. Dans ce monde qui se prépare et qui est déjà là, l’Europe judéo-chrétienne a vocation à promouvoir la paix. La grande affaire du siècle à venir sera l’évangélisation de la Chine. Mais si l’Europe n’existe plus, qui portera le message évangélique ?