Alors que le sanctuaire de Lisieux vient d’inaugurer une année jubilaire, peut-on espérer que le pape François vienne en France pour rendre hommage à sa sainte préférée, la petite Thérèse (1873-1897), docteur de l’Église et patronne des missions ? Le pontife argentin n’a pour l’instant pas évoqué ouvertement cette perspective, même s’il a déjà été invité à plusieurs reprises, dont la dernière fois la veille de Noël.
Quel est votre saint ou votre sainte favori(te) ? "Sainte Thérèse de Lisieux", répond sans ambages le pape François dans le livre-entretien Des pauvres au pape, du pape au monde (Éditions du Seuil) paru le 1er avril 2022. "Vous dites cela parce que certains d’entre nous sommes Français ?", demande l’un de ses interlocuteurs – des pauvres conduits par l’association Lazare. "Pas du tout ! s’exclame alors le Pape. Allez dans ma chambre et vous verrez qu’il y a là beaucoup de choses de la petite Thérèse."
Sous la plume de la journaliste vaticaniste Elisabeth de Baudoüin, la spiritualité thérésienne du pontife a même donné naissance au livre Thérèse et François, publié aux éditions Salvator (2019). Le "Pape des périphéries" et la carmélite normande "donnent la main à une même amie : la miséricorde", développe-t-elle dans l’ouvrage, rapportant une foultitude d’anecdotes à ce sujet.
Ainsi, dès son élection, lors de son retour de Rio de Janeiro (Brésil) en 2013, l’un des journalistes à bord de l’avion papal interrogeait le pontife romain sur le contenu de son intrigante sacoche noire. Aux côtés de son rasoir et de son bréviaire, celui-ci révélait que figurait un livre sur la sainte, à laquelle il expliquait être particulièrement attaché. En outre, le Pape possède des reliques de la normande et il a coutume de glisser des images pieuses de la jeune fille habillée en Jeanne d’Arc dans ses courriers, relate Elisabeth de Baudoüin.
Une maîtresse de vie spirituelle
"Thérèse est directe et efficace", elle utilise des "moyens simples, plus qu’ordinaires, pour faire des choses extraordinaires", confiait le pontife à un évêque malgache, l’encourageant à la prier pour son diocèse. La théologie du 33e docteur de l’Église infuse largement les écrits du pontife, tout particulièrement son encyclique Gaudete et exsultate (2018) sur l'appel à la sainteté dans le monde actuel, analyse la vaticaniste en s’appuyant sur le père François-Marie Léthel, spécialiste thérésien. "Le pape François a Thérèse comme maîtresse de vie spirituelle et la propose comme telle à toute l’Église", écrit-elle.
Toujours selon la journaliste, Jorge Mario Bergoglio a l’habitude de prier la "neuvaine des roses" à celle qui avait promis d’envoyer une pluie de roses après sa mort. Et il n’est pas rare qu’il reçoive des roses blanches offertes par des inconnus, tels des signes divins dans les difficultés.
Le 266e pape cite régulièrement la petite Thérèse. Il voit en elle "une splendide description de la consolation spirituelle" et salue son "audace", lors de l’audience générale du 23 novembre dernier. Et d’évoquer l’épisode où sainte Thérèse de Lisieux, en visitant la basilique Sainte-Croix de Jérusalem, essaie de toucher un clou qui est une relique de la Passion du Christ. La jeune Normande se demande si elle a été "trop audacieuse". Mais dans ses Manuscrits autobiographiques, elle relit cet événement en faisant preuve de confiance en Dieu : "Le Seigneur voit le fond des cœurs, il sait que mon intention était pure […]. Je me comportais avec lui comme un enfant qui se croit tout permis et considère les trésors du Père comme les siens."
Dans son livre Un temps pour changer (Flammarion, 2020) écrit avec le journaliste britannique Austen Ivereigh, le pape François évoque "le retour du diable sous forme de tentation" en mentionnant "sainte Thérèse de Lisieux qui demande qu’on lui jette de l’eau bénite parce que le diable l’encercle en espérant qu’elle finira par trébucher". «À mon âge, confie-t-il sur les traces de la Française, je devrais avoir des lunettes spéciales pour voir quand le diable m’environne pour me faire trébucher à la fin, parce que c’est là où je suis : je suis à la fin de ma vie."
De même dans l’ouvrage Sans Jésus, nous ne pouvons rien faire, sorti en janvier 2020 (éditions Bayard), échangeant avec le journaliste italien Gianni Valente, le pontife cite allègrement la sainte de la petite voie pour assurer que l’action du Christ "dans la vie et (le) cœur des gens", est source "d’étonnement" et "d’admiration".
Un voyage à Lisieux ?
Pourtant, malgré son attachement, le pape François ne s’est jamais rendu à Lisieux. Ce n’est pas faute d’y avoir été invité à plusieurs reprises. Encore le 21 décembre dernier, lors de l’audience générale au Vatican, celui qui était alors recteur du sanctuaire de Lisieux, le père Olivier Ruffray – aujourd’hui administrateur –, lui a remis une lettre d’invitation de l’évêque du diocèse, Mgr Jacques Habert.
L’occasion d’une visite papale est toute trouvée, alors que le sanctuaire de Lisieux vient d’entrer dans un jubilé, de l’Épiphanie 2023 à l’Épiphanie 2024. L’année, qui commémore les 150 ans de la naissance de Thérèse Martin (2 janvier 1873) et le centenaire de sa béatification (29 avril 1923), sera conclue par le cardinal Angelo Semeraro, préfet du dicastère pour les Causes des saints. Le procès en canonisation de la sœur de Thérèse, Léonie Martin, est d’ailleurs en cours au dicastère.
Cependant, pour ses voyages, le pontife ne donne pas la priorité aux grands pays européens, privilégiant les pays de périphéries, à minorité catholique. Sa venue à Marseille prévue le 23 septembre prochain ne sera pas une visite de l’Hexagone mais seulement une étape dans la ville méditerranéenne, a-t-il précisé dans l’avion qui le ramenait d’Afrique le 5 février dernier.
"Si sainte Thérèse et le pape souhaitent se rencontrer, ils trouveront le temps, le lieu et le moment opportun", conclut cependant le père Olivier Ruffray, confiant.