Dans la salle de presse du Saint-Siège, au pied de la place Saint-Pierre, seule une poignée de journalistes est présente en ce 11 février 2013, fête de Notre-Dame de Lourdes. Le pape Benoît XVI a choisi ce jour férié au Vatican – qui commémore les Accords du Latran signés en 1929 – pour réunir un consistoire consacré à fixer la date de futures canonisations, selon un rituel bien rodé. "Je suis allé à la salle de presse avec la perspective de n’y passer que deux heures… et puis basta", se souvient Charles de Pechpeyrou, aujourd’hui journaliste à L’Osservatore Romano et qui travaillait à l’époque pour l’agence de presse vaticane I.MEDIA. Dans cette salle où se croisent d’ordinaire des journalistes du monde entier, seuls cinq vaticanistes sont présents ce matin-là – une Italienne, deux Français, un Mexicain et un Japonais.
Sur le circuit de télévision interne du Vatican auxquels ont accès ces journalistes se déroule la cérémonie du consistoire. Elle n’est pas retransmise à l’extérieur. L’officialisation de la canonisation des Martyrs d’Otrante constitue l’unique enjeu de cette matinée tranquille. Et encore, la nouvelle a été annoncée quelques jours plus tôt et l’intérêt médiatique était donc faible. Mais aux alentours de 10h40, les choses basculent et l’impensable se produit. Mgr Guido Marini, le cérémoniaire du pontife allemand, vient tendre une feuille au pape Benoît XVI. "En latin, et de façon sérieuse, il a commencé à lire ce texte", raconte Charles de Pechpeyrou.
Une onde de choc
"Par acquit de conscience, j’ai tendu l’oreille et j’ai pris des notes. Sur mon papier, il y avait des mots clés qui s’additionnaient… Il parlait par exemple “d’incapacité à gouverner”… Dans mon cerveau, tout se bousculait. Je me suis dit : “Est-ce qu’il est bien en train de nous dire qu’il part ?”", se souvient-il encore. Immédiatement, le jeune journaliste appelle Antoine-Marie Izoard, le directeur d’I.MEDIA de l’époque. "Il m’a dit : “Je crois que le pape a démissionné”", raconte celui qui dirige aujourd’hui la rédaction de Famille Chrétienne. Après avoir eu la confirmation du porte-parole du Saint-Siège, le père Federico Lombardi, c’est lui qui envoie à 10h46 le bref "Urgent : Benoît XVI a présenté sa démission".
"J’étais tout tremblant d’émotion en écrivant ces mots qui avaient un caractère absolument inédit", confie le vaticaniste. "J’avais une perception bizarre du temps, j’étais dans un état de panique totale", abonde Charles de Pechpeyrou. Dans la salle de presse du Saint-Siège, Giovanna Chirri, la journaliste italienne de l’agence ANSA, a elle aussi compris ce qui se passait, envoyant son alerte à 10h46 également. "J’ai donné la nouvelle, et puis je me suis mise à pleurer", racontera-t-elle ensuite.
Les cardinaux abasourdis
Dans la Salle du Consistoire, les cardinaux réunis autour de Benoît XVI sont tout autant abasourdis par la nouvelle. "Un coup de tonnerre dans un ciel serein". C’est ainsi que le doyen du Collège, le cardinal Angelo Sodano, réagit au nom de ses frères cardinaux, faisant état devant le pontife allemand de son incrédulité et de sa stupeur. "Tout est vrai, je ne me trouve pas dans un rêve. Mais, humainement, il est tout de même difficile de croire à ce qui est train d’arriver", écrit à la date du 11 février 2013 le second secrétaire de Benoît XVI, Mgr Alfred Xuereb, dans son journal de bord publié dix ans plus tard en Italie sous le titre "I miei giorni con Benedetto XVI" aux éditions San Paolo.
Dans son journal, l’archevêque maltais, actuellement nonce apostolique en Corée et en Mongolie, ne cache rien de son émotion après avoir écouté le discours de Benoît XVI, dont il avait naturellement été informé en amont, faisant partie du premier cercle : "Voilà, la communication est advenue. J’ai fondu en larmes." Il remarque que certains cardinaux, "pas très à l’aise avec le latin", n’ont pas compris tout de suite les mots du pontife allemand et ont été "contraints de demander des informations aux confrères". Mgr Xuereb se souvient qu’il était "impossible de trouver les mots" après une telle annonce. "Durant le déjeuner, encore visiblement ému et ne sachant pas bien quoi dire, je jette là une observation : “Saint Père, mais vous êtes apparu très tranquille quand vous avez prononcé votre acte de renonciation…” “Oui”, répond Benoît, décidé. Pas un mot de plus. Je comprends que ce n’est pas le moment de rajouter d’autres observations", raconte le prélat maltais.
L’ambiance demeure calme et feutrée autour du pape régnant pour encore quelques jours, mais la nouvelle s’est déjà répandue dans le monde entier comme une traînée de poudre. Dans la fin de matinée du 11 février, la salle de presse du Saint-Siège est prise d’assaut pour une intervention improvisée du père Federico Lombardi. Elle ne désemplira pas jusqu’au conclave – 12 et 13 mars – où seront présents à Rome près de 6.000 journalistes. "Jusqu’au 28 février et la date effective de sa renonciation, nous avons vécu une période totalement inédite et émouvante, avec ces audiences où le monde venait dire adieu à ce pape", explique Antoine-Marie Izoard, qui se souvient s’être fait cette réflexion : "Benoît était attaché à la tradition… au point d’en inventer une nouvelle ! Cela fait étonnamment de lui un pape très moderne."