La grande oubliée de la réforme des retraites est la démographie. Le nombre de naissances est au plus bas en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais le gouvernement refuse d’affronter la cause structurelle de l’effondrement du système : la baisse du nombre des actifs et la baisse de la natalité. En mettant fin aux principes de la politique familiale, le gouvernement ne fait que repousser le problème. Pour Gérard-François Dumont, professeur à la Sorbonne et directeur de la revue Population & Avenir, les effets de "l’hiver démographique" français sont déjà palpables, avec des lourds enjeux à l’avenir, mis en évidence notamment dans les trois chapitres prospectifs de son dernier livre, Populations, Peuplement et Territoires en France, (Éd. Armand Colin).
Aleteia : La France connaît une baisse de la natalité inédite en France depuis 1946, ce qui n’est pas sans conséquence sur le financement des retraites. Comment expliquez-vous cette chute ?
Gérard-François Dumont : La chute de la natalité constatée par l’Insee était tout à fait prévisible. En France, comme en Europe, comme nous l’avons montré dans la revue Population & Avenir, l’évolution de la natalité a toujours été corrélée à l’évolution des politiques familiales. Toute politique exerce ses effets. Lorsqu’il y a des mesures positives, la natalité remonte, et lorsque ces mesures sont négatives, la natalité baisse. La fécondité a décroché en 2015, avec le rabotage de la politique familiale sous le mandat de François Hollande : fin de l’universalité des allocations familiales avec la mise sous condition de ressources, abaissement du quotient familial, réforme du congé parental, diminution du complément de mode de garde… Un autre élément souvent oublié dans le rabotage de cette politique familiale est la diminution drastique de la dotation globale de fonctionnement aux collectivités territoriales. Cela a entraîné une diminution des projets de crèche ou de relais assistance maternelle. Les Français constatent pratiquement que l’État les aide moins lorsqu’ils accueillent un enfant. Ils ont de plus en plus de mal à concilier vie professionnelle et vie familiale.
Pourquoi le gouvernement fait-il l’impasse sur la politique familiale ?
Il y a de nombreuses raisons, la principale étant de croire que l’on peut remplacer la politique familiale par une politique sociale. La montée d’idéologies malthusiennes considérant la naissance d’un enfant comme étant nuisible à la planète influence aussi les décisions consistant à raboter la politique familiale. Non seulement les gouvernements successifs depuis 2014 ont poursuivi la même politique négative, mais ils ont accéléré la pente, par exemple en détournant les recettes de la Caisse d’allocations familiales aux dépens des familles et des enfants. Le résultat, c’est une aggravation de la situation et donc une fécondité gravement en baisse.
Le projet du gouvernement prévoit le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Cette mesure paramétrique permettra-t-elle de sauver le système par répartition sans politique en faveur de la natalité ?
Au début des années 1980, l’âge de départ à la retraite a été abaissé de 65 ans à 60 ans, ce qui ne coûtait rien à l’époque, le nombre de nouveaux retraités étant peu élevé. Mais cela ne pouvait pas ne pas avoir de conséquences. Sachant le défaut de remplacement des générations, on s’exposait au fil des années à un système de retraite considérablement déficitaire, en raison du rapport déséquilibré entre le nombre d’actifs susceptibles de cotiser et le nombre de personnes à la retraite. Les progrès heureux en matière d’espérance de vie, augmentant le nombre potentiel d’années en retraite plus important à financer, n’ont fait qu’aggraver le problème.
Aujourd’hui, la baisse de la natalité nous expose à un déficit des retraites encore plus important, et pas seulement à moyen terme.
Cette logique démographique a fini par être prise en compte, puisque l’on est revenu à un âge de départ à la retraite à 62 ans. Les quatre réformes de retraite paramétriques qui ont été opérées en ce sens par des gouvernements de droite et de gauche n’ont pas été remises en cause. D’un simple point de vue démographique, ce rééquilibrage était impératif, mais pas suffisant. Aujourd’hui, la baisse de la natalité nous expose à un déficit des retraites encore plus important, et pas seulement à moyen terme. Que se passera-t-il quand la population active baissera ?
Le recul perpétuel de l’âge de la retraite n’est donc pas une solution ?
Au-delà des aspects comptables des équilibres démographiques, il faut comprendre que l’enfant est un élément dynamique de la vie de la nation, même s’il n’appartient pas à la population dite "active". Une société qui accueille ses enfants se motive pour que cet accueil soit de bonne qualité. C’est vrai au niveau d’une famille, qui, quand elle accueille un enfant supplémentaire, investit pour aménager son logement ou obtenir un logement plus grand, s’organise pour avoir des revenus satisfaisant les besoins d’éducation. C’est vrai au niveau d’une commune qui fera des efforts pour créer des écoles ou des équipements sportifs, etc. Dès sa naissance, l’enfant est un stimulant pour l’ensemble de vie économique et sociale d’un pays. Tant que la France n’intègre pas cette donnée essentielle de la vie d’une population, elle ne sortira pas de son "hiver démographique" et ne résoudra pas son problème structurel de solidarité entre les générations.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.
Pratique :