Benoît XVI est mort le jour où l’Église méditait le prologue de saint Jean : "Au commencement était le Verbe" (Jn 1, 1). Ce prologue renvoie au premier verset de la Genèse et indique que Jésus est le Verbe de Dieu qui existe depuis toute éternité. Quel beau texte pour le jour de son décès, lui qui a tant aimé et cherché le Verbe fait chair ! Il est arrivé là où tout commence, retrouvant dans la lumière du Christ sa famille et ses amis, comme il le souhaitait. Comment faire le bilan des 95 ans de la vie ? Relevons seulement cinq points de son héritage spirituel et théologique.
Le retour à Dieu
Accorder la priorité à Dieu dans notre monde où le relativisme règne en maître, voilà un trait marquant du pontificat de Benoît XVI. Dans le livre d’entretiens Lumière du monde (2010), où il se confie avec confiance au journaliste Peter Seewald, le pape allemand affirme : "Aujourd’hui, l’important est que l’on voie de nouveau que Dieu existe, qu’Il nous concerne et qu’Il nous répond". Il montre que la vraie foi en Dieu favorise le respect de l’autre, promeut la paix et valorise la liberté religieuse. Sinon, elle devient une idéologie au service d’une cause politique qui aliène trop souvent l’humanité.
À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement
Sa première encyclique Dieu est Amour (2006) surprend tout le monde, car il nous livre sa mystique profonde. Il commence par cette citation qu’il considère comme le centre de la foi chrétienne : "Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui" (1 Jn 4, 16). Il poursuit : "À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive." Après l'amour, il publie deux traités sur les autres vertus théologales que sont l’espérance et la foi : "L'homme a besoin de Dieu, autrement, il reste privé d'espérance."
Tout centrer sur le Christ
Selon son secrétaire particulier Mgr Georg Gänswein, les dernières paroles de Benoît XVI, prononcées dans la nuit du 30 au 31 décembre 2022, ont été : Signore ti amo (en français "Seigneur, je t’aime"). Son profond attachement au Christ l'a conduit toute sa vie à l’essentiel du christianisme : Dieu se révèle en Jésus qui donne un sens à notre vie. Il écrit à des séminaristes, le 18 octobre 2010 : "Dieu n’est pas une hypothèse lointaine, il n’est pas un inconnu qui s’est retiré après le big bang. Dieu s’est montré en Jésus-Christ. Sur le visage de Jésus-Christ, nous voyons le visage de Dieu."
Il consacre trois ouvrages à la figure de Jésus de Nazareth et de son message, lui qui est venu accomplir les Écritures. Il montre que l’existence chrétienne consiste à croire que l’amour de Dieu est parmi nous en Jésus ressuscité et que nous sommes dignes d’être aimés, d’où l’importance de devenir des âmes aimantes, comme il le dit à Seewald dans Le Sel de la terre : "Ce dont nous avons réellement besoin, ce sont des gens qui sont intérieurement habités par le christianisme, le vivent comme un bonheur et un espoir et sont ainsi devenus des âmes aimantes."
Doux et humble de cœur
Homme libre, doté d’une grande intelligence, le cardinal Ratzinger a chaussé des souliers de géant en succédant à son ami Jean Paul II. Moins médiatique que lui, il a toutefois marqué les esprits par son style discret, plein de douceur et d’humilité. Il possédait une capacité d’écoute qui séduisait ses interlocuteurs, ce qui ne l’empêchait pas de trancher quand c’était le temps, même si ça ne faisait pas l’unanimité. Dans son testament, rédigé le 29 août 2006, il demande humblement pardon : "À tous ceux que j'ai lésés d'une manière ou d'une autre, je demande pardon de tout mon cœur."
Homme de paradoxes, le grand théologien s’en est tenu à sa devise : “Afin que nous coopérions à la publication de la Vérité.”
N'ayant aucune avidité pour le pouvoir, il est resté doux et humble jusqu’à la fin, priant et offrant ce qu’il vivait pour l’Église. Le pape François le visitait souvent en toute amitié. Lors de l’homélie des vêpres du 31 décembre, le jour même de sa mort, il évoque la bonté du pape allemand, rendant grâce au Seigneur pour "tout le bien qu’il a accompli, et surtout pour son témoignage de foi et de prière".
Souci de la vérité
Serviteur à la vigne du Seigneur, le pape émérite aura été à la tête de l’Église pendant presque huit ans, avant de renoncer à son ministère pétrinien pour se retirer dans la prière. Cette décision a pris tout le monde par surprise et aura un grand impact dans l’histoire de l’Église. On a ainsi vu deux papes, aux styles et aux caractères différents, mais ayant à cœur l’unité de l’Église et le souci de faire la vérité, sans séparer foi et raison.
Homme de paradoxes, le grand théologien s’en est tenu à sa devise : "Afin que nous coopérions à la publication de la Vérité." Quel défi pour lui de tenir ensemble tradition et nouveauté, époque ancienne et époque nouvelle, discrétion et innovation. Par exemple, certains lui reprochent sa condamnation de la théologie de la libération ou sa fermeture à la question de l’ordination des femmes. Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi durant 23 ans, on l’a souvent enfermé dans la caricature d’un "Panzerkardinal" intransigeant. Ce cliché n’a pas tenu la route lorsqu’il est devenu pape, servant l’Église avec joie et authenticité, ce qui a plu aux jeunes.
Artisan de paix
Homme de paix et de dialogue, il a tendu la main à tous, sans oublier les victimes d’abus sexuels qu’il a rencontrées à plusieurs reprises. Il a fait preuve de lucidité face aux scandales de pédocriminalité et de corruption dans l’Église. Ce fut certainement l’une de ses plus grandes souffrances, comme ce l’est pour le pape François. Il a affronté la tourmente en voulant faire la lumière sur cette triste page de l’Église, en espérant que cette purification annonce une résurrection à venir.
Benoît XVI est mort le 7e jour de l’octave de la Nativité, et Jean-Paul II le 7e jour de l’octave de Pâques. Tous les deux sont décédés un samedi, jour traditionnellement consacré à la Vierge Marie. Ils sont entrés dans la gloire du Verbe fait chair qui "a habité parmi nous". Les papes meurent, le Verbe demeure.
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