La foi peut-elle déplacer des montagnes ? En tout cas, elle peut déplacer des lits. D’une chambre à un ascenseur, puis de l’ascenseur à un jardin, puis du jardin à une chapelle. Conduits avec énergie par deux religieuses en habit bleu et blanc, le grand lit à roulette, son passager tout sourire et ses draps blancs immaculés se fraient un passage au milieu des multiples chariots de soins, de repas et de ménages, contournant les fauteuils roulants entreposés et les aides-soignants affairés.
Il ne manque plus qu’une voiture balai vous informant : "Attention, convoi exceptionnel" pourrait-on penser. Pourtant depuis le début de mon stage dans un service de soins palliatifs à Lille, ce remue-ménage n’a rien de particulier. Il est même tout à fait habituel dans cette unité de soins palliatifs rattachée à une communauté religieuse. Si les soins sont prodigués par des professionnels aux disciplines variées, les sœurs s’immiscent discrètement et simplement dans les temps et les espaces libres que leur offre chaque journée. Pour rencontrer les patients, se présenter, échanger sur la vie et "l'après" ou prier.
Que viennent donc faire des religieuses dans cette prise en charge de la maladie ou de la fin de vie ? Que signifient ces allers et venues vers la chapelle dans un planning de soins et traitements déjà bien rempli ? À quoi cela sert-il d’extérioriser autant cette dimension spirituelle si intime et si intérieure la de vie ?
Le principe et l’essence mêmes des soins palliatifs : l’accompagnement de la personne dans toutes ses dimensions.
Il n’y a là nulle récupération prosélyte ou opportuniste. Il y a simplement un rappel de ce qui, depuis leur création, constitue le principe et l’essence mêmes des soins palliatifs : l’accompagnement de la personne dans toutes ses dimensions.
En même temps que nous soignons un corps, un psychisme et des relations, nous accompagnons un individu avec une vie intérieure à laquelle il faut accorder la même attention. Alors seulement, nous pourrons cerner avec un peu plus de précision le mystère de la personne que nous accompagnons.
Il y a bien sûr l’art et la manière de faire : être tout d’abord l’interlocuteur désigné, que ce soit officiellement (religieux, bénévole, aumônier) ou officieusement, lorsque le patient aborde le sujet devant vous tout à fait sciemment, et que vous y êtes convoqués. Il faut alors être prêt. Sans imposer, sans s’imposer. Entendre ses questions, réflexions, rébellions et les considérer.
La spiritualité, dimension essentielle de la vie humaine
Car la vie humaine s’exprime à travers un état de santé, une place dans la société… mais aussi à travers une spiritualité. Nous aurions tort de la nier, l’enfouir ou la rabrouer. Car elle influe sur le corps, les relations et la psyché. "Un cri de détresse spirituel, cela reste un cri qui rappelle ô combien la personne est en encore bien en vie", m’a un jour dit un bénévole dans une unité de soins palliatifs.
Désormais diplômée et en volontariat en Arménie, je découvre qu'ici le sujet n’est pas tabou : dans l’équipe que j’ai rejointe, on soigne et on prie. Chacun à sa manière, avec une religion, une foi ou juste une vie intérieure. On permet ainsi aux enfants malades d’exprimer leur vie spirituelle à eux-aussi.
Et comme pour achever cet accompagnement dans toute sa globalité, les religieuses qui abritent cette unité médicalisée pour enfants abandonnés sont allées prier le 2 novembre dernier, jour des défunts, sur la tombe de chacun de leurs petits protégés. Alors je me suis souvenue des paroles de Jésus, exprimées dans un cri à la fin de sa vie, alors qu’Il remettait son corps, son âme et son Esprit réunis : "Tout est accompli".