Pour Elisabeth de Courrèges, 28 ans, ergothérapeute dans un Ehpad du 13e arrondissement de Paris, l’euthanasie est une mauvaise réponse à une vraie question : celle de l’accompagnement des personnes en fin de vie. En lieu et place de l’euthanasie, elle milite pour davantage de présence et de soins auprès des patients en fin de vie. Une manière de montrer qu’ils sont aimables et conservent toute leur dignité. La jeune soignante défend une véritable politique de développement des soins palliatifs, insuffisamment poursuivie aujourd'hui. Auteur d’un premier ouvrage Etre là, elle publie un second essai intitulé Nous veillerons sur votre dignité (Mame), véritable manifeste contre l’euthanasie, à paraître le 9 septembre.
Aleteia : Nous veillerons sur votre dignité, c'est un titre qui sonne comme une promesse. Selon vous, la dignité est en danger ?
Elisabeth de Courrèges : La dignité est en danger à partir du moment où l’on commence à la relativiser, où l’on sous-entend que certaines personnes meurent dans la dignité et d’autres non. La culture ambiante sous-entend que l’on pourrait mourir sans dignité. Or de même que toutes les vies sont dignes, toutes les morts le sont aussi.
J’ai souvent entendu, au cours de mes études, de mes stages et de mes premières expériences professionnelles, "il a perdu sa dignité" en parlant d'un patient. Une expression qui me met profondément mal à l’aise parce que chaque personne est porteuse de cette dignité intrinsèque et inaliénable propre à tout être humain. Il y a un danger à avoir une vision subjective de la dignité. Au contraire, la question devrait être : que fait-on pour se mettre au service de cette dignité ? À mon niveau, c’est la manière dont je fais mon métier au mieux. Au niveau de la société, c’est la question de l’accompagnement des personnes en fin de vie.
On perçoit dans certains discours une vision de la dignité par l’utilité, soutenant que la valeur d’une vie serait relative à sa capacité d’être utile à la société.
Vous voulez veiller sur la dignité quand d’autres réclament le "droit à mourir dans la dignité". Dans les deux cas, il est question de dignité mais envisagée de manière différente. Pour vous, qu’est-ce que la dignité ?
Chez les défenseurs du droit à mourir dans la dignité, c’est la conduite qui confère à l’individu sa dignité, et non plus le seul fait qu’il existe. Pour eux, la dignité est liée à l’autonomie, à la capacité de décider pour soi : si le patient a décidé alors c’est digne. Mais il est légitime de s’interroger sur un tel critère. La capacité de décision est à évaluer dans le temps. Particulièrement dans la fin de vie, les décisions se prennent dans le temps, elles peuvent changer, il arrive que les patients changent d’avis selon l’accompagnement dont ils bénéficient.
Interrogeons-nous plutôt par rapport à l’accompagnement. Quand un patient demande l’euthanasie, comment tout tenter pour le ramener à la vie ? Il ne s’agit pas maintenir la vie à tout prix, mais de tenir la personne par la main. On perçoit également dans certains discours une vision de la dignité par l’utilité, soutenant que la valeur d’une vie serait relative à sa capacité d’être utile à la société. Mais le droit, la philosophie, les textes religieux, tous confèrent à la dignité une valeur universelle, objective et inaliénable. Le Catéchisme de l’Église catholique précise : "Parce qu’il est à l’image de Dieu, l’individu humain a la dignité de personne ; il n’est pas seulement quelque chose, mais quelqu’un."
Dans votre livre, vous donnez des exemples de patients qui finalement renoncent à vouloir mourir et veulent vivre, comment expliquez-vous ce revirement ?
Cela tient beaucoup à la présence de l’autre, que ce soit un proche ou un soignant. Etre là, présent, est une première réponse. Une personne humaine en miroir rappelle au patient qu’il est là, qu’il est en vie. C’est rappeler son humanité et répondre à une certaine solitude. Cela peut passer simplement par le fait de venir régulièrement dans sa chambre, d’adapter son matériel, ses traitements, tout ceci montre qu’on a du souci pour lui. Sur le plan médical, c’est faire en sorte qu’il ne souffre pas. Autant de gestes qui tendent à valoriser sa vie.
"La fin de vie est encore un temps de vie", insistez-vous. A quoi le voyez-vous ?
Nous ignorons ce que la vie réserve encore aux patients : un regain d’énergie, un projet, un défi, un pardon, un merci. Je citerai un exemple, qui parle de lui-même. Il concerne une femme âgée, en pleurs, elle qui ne pleurait jamais, le jour de la fête des mères. Elle me confie son immense chagrin, qui remontait donc à des années, de n’avoir pas vu sa fille décédée quelques minutes après sa naissance à cause d’une grave malformation. Au soir de sa vie, cette maternité qu’elle avait enfouie émerge avec une force inouïe. Elle avait besoin de tout ce temps pour le réaliser. Il y a tant de relations qui se ravivent et se revivent en fin de vie! C’est aussi pour cette raison que la mort ne doit pas être accélérée.
La culture palliative a du mal à prendre sa place dans notre quotidien. Reste à oser la mettre en œuvre, et refuser la facilité.
Que répondez-vous aux proches des personnes en "pauci-relation" qui se demandent à quoi bon venir les visiter ?
On ne sait pas ce que la personne perçoit ou non, c’est une grande inconnue. On constate parfois des réactions. Dans le doute, on continue à être là. En tant que soignant, c’est important aussi de continuer à veiller sur le patient, de faire de notre mieux. Ainsi, les familles sentent que l’on continue à prendre soin de lui et qu’elles peuvent continuer à l’aimer. Nous rappelons que le patient est encore une personne, un corps, aimables.
Vous rêvez d’un jour où l’on n’entendra plus parler d’euthanasie parce que nous n’en aurons plus besoin. Pour cela, que faudrait-il mettre en œuvre ?
Je rêve du jour où nous serons suffisamment présents, bons et compétents pour permettre un accompagnement de qualité. Il existe déjà des unités de soins palliatifs de grande qualité. Dans certaines unités de soins palliatifs, les demandes d’euthanasie sont en quasi-disparation. Mais ce modèle est trop rare pour le seul Français sur trois qui, aujourd’hui, y a accès. Il serait bon de s’inspirer de ces modèles, de diffuser cette culture palliative dans tous les lieux où on accompagne la fin de vie, dans tous les Ehpad, tous les hôpitaux ! La culture palliative a du mal à prendre sa place dans notre quotidien. Reste à oser la mettre en œuvre, et refuser la facilité. Les décisions en fin de vie sont en effet délicates, elles sont souvent sur des lignes de crête, elles demandent des ajustements permanents.
En outre, il est essentiel de garder cet interdit fondamental de l’euthanasie, c’est ce qui nous rend créatifs. Parce que c’est interdit, on cherche des alternatives. En Belgique, où l’euthanasie est possible, les soins palliatifs cherchent moins. De l’interdiction de l’euthanasie découle une fécondité de la recherche dans le développement des soins palliatifs : on est obligé de chercher des professions, des connaissances, des compétences pour l’accompagnement au quotidien. De nombreux métiers s’inscrivent dans la culture palliative, favorisant ainsi une approche pluridisciplinaire.
De quels métiers parlez-vous ?
Il y a bien entendu les aides-soignants, les infirmiers, les médecins, mais aussi les psychologues, les ergothérapeutes, les psychomotriciens, les ostéopathes… L’aromathérapie trouve également sa place. J’ai rencontré il y a peu une personne qui aidait les patients à relire leur histoire, leur permettant d’achever leur vie avec un sentiment d’accomplissement. Il est important de toujours avoir cette approche globale et de s’adresser à la personne dans toutes ses dimensions.
Une approche globale qui suppose aussi la dimension spirituelle de la personne ?
Bien sûr, c’est une dimension à part entière de l’être humain. Elle est à considérer dans la fin de vie. Chez certains, la question de l’après revient fréquemment. D’autres accomplissent durant la fin de vie un véritable cheminement, qui, s’il n’est pas religieux, manifeste une vraie vie intérieure. C’est une période où jaillissent naturellement de nombreux questionnements spirituels. A nous de trouver comment les accompagner. Il y a un réel enjeu concernant la pastorale d’évangélisation des personnes du troisième âge !
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