La loi de 1905 instaurant la laïcité, c’est-à-dire la neutralité cultuelle de l’État, n’a pas supprimé toutes les traditions. Même certaines qui pourraient paraître curieuses voire scandaleuses en métropole. Ainsi en est-il de la célébration du 14 juillet qui a lieu tous les ans à la basilique Sainte-Anne, au cœur de la Vieille ville de Jérusalem. Ce jour-là, on prie pour la République au milieu de la messe, et on encense même le Consul général, représentant de l’État.
Pour comprendre cette pratique, il faut remonter à François Ier. Voulant prendre son éternel ennemi Charles Quint à revers, le roi de France signe avec le sultan des Capitulations, traités d’échange et d’alliance, en 1536. Depuis lors, la France est protectrice des chrétiens latins en Orient. Un rôle diplomatique qui s’est maintenu sous tous les régimes, en France comme en Terre sainte, même s’il a eu plus ou moins de réalité sur place.
Ce lien particulier de la France avec Jérusalem, manifestée par une présence continue d’un consulat dans la Ville sainte depuis 1838, s’est matérialisée au XIXe siècle dans la constitution d’un Domaine national. Première possession française : la basilique Sainte-Anne, donnée par le sultan ottoman à Napoléon III en 1856 en remerciement du soutien hexagonal lors de la guerre de Crimée. L’église romane, construite par les croisés au XIIe siècle sur le lieu supposé de la maison d’Anne et Joachim, parents de Marie, est entourée des vestiges de la piscine de Bethesda. C’est là que Jésus guérit un paralytique dans l’évangile de Jean, au chapitre 5.
Pour toutes ces raisons historiques, s’est maintenue dans la basilique, dont l’acoustique est réputée – un panneau à l’entrée indique d’ailleurs que l’on doit rester en silence…ou chanter ! – la traditionnelle messe consulaire pour la France. Le 14 juillet donc, le Consul général de France assiste au premier rang à la messe, entouré des Français de Terre sainte et des religieux d’origine française qu’il protège au nom de l’État. À la fin de l’office, avant qu’il ne prononce un discours, on prie le Domine, salvam fac rem publicam, chant qui s’adresse à Dieu : "Seigneur, sauve la République et exauce-nous lorsque nous t’invoquons."
Une tradition ancienne dans l’Église
Répétée deux fois, cette invocation est héritée de l’Ancien régime – le Roi a été remplacé par la République – et s’est maintenue depuis. Cela dit, prier pour les nations et les gouvernements est une tradition ancienne dans l’Église, rappelée par saint Paul : "J’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité" (1 Tm 2,1-2).
Plus originaux sont les honneurs liturgiques rendus au représentant de l’État. Le consul vénère l’Évangéliaire avant la lecture de l’Évangile, mais est aussi encensé lors de l’offertoire. Sans compter qu’il est évidemment accueilli solennellement à l’entrée de l’église au début de la messe. Une manière de rappeler le rôle singulier de la France en Terre sainte, mais aussi de confier notre pays à Dieu qui, à la fin, en est le seul maître.