Alors que les Français sont appelés à voter pour les élections législatives les dimanches 12 et 19 juin Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre et ancien aumônier des parlementaires, revient pour Aleteia sur le rôle essentiel des députés dans la vie démocratique du pays et la nécessité, pour chacun, de s'intéresser et s’investir afin de contribuer au bien commun. “Il n’est pas anormal que la vie collective de notre humanité blessée par le péché soit laborieuse”, reconnaît-il. "Nous croyons que le Seigneur nous offre les grâces nécessaires pour faire face aux exigences du temps. Personne ne doit se prendre pour le messie mais tous sont appelés, dans les responsabilités qui sont les leurs, à contribuer au bien commun et ils en sont capables. Avant l’identité des acteurs, à tous niveaux, l’important est la vérité sur le mystère de la personne humaine et de la vie en société." Entretien.
Aleteia : Quels enseignements tirer de l’élection présidentielle qui vient d’avoir lieu ?
Mgr Matthieu Rougé : L’élection présidentielle récente a constitué une nouvelle étape de décomposition et de début de recomposition du paysage politique auquel nous étions habitués. Le poids du vote protestataire met en lumière les fragilités et les fracturations de notre société qui appellent en retour à un véritable sursaut fédérateur ceux et celles qui ont été élus. La facilité par ailleurs des uns et des autres à changer de camp et de positionnement, y compris sur des questions essentielles, manifeste dramatiquement leur absence de convictions enracinées et construites et contribue au découragement et au désengagement des citoyens, notamment les plus jeunes.
Respecter et encourager pleinement la liberté et le discernement des citoyens, c’est déjà contribuer au bien commun et au renouveau possible de la vie politique.
L’écologie est au cœur des préoccupations et des programmes : comment définir une écologie chrétienne ?
L’écologie est une question majeure qui préoccupe à juste titre la plupart des citoyens et que l’Église prend vraiment au sérieux. Malheureusement, elle n’est parfois présente que comme un affichage ou un prétexte dans les postures politiciennes. La déclaration épiscopale L’Espérance ne déçoit pas, en écho aux appels des papes récents, en appelle à une écologie qui soit vraiment humaine et intégrale, c’est-à-dire qui intègre de façon fondatrice le respect inconditionnel de la dignité humaine dans toutes ses dimensions, éthiques et sociales en particulier.
Pourquoi les évêques ont-ils décidé, à la présidentielle et aux législatives, de rester en surplomb sans donner de consignes de vote claires ?
Les évêques ne seraient en "surplomb" que s’ils prétendaient observer et juger de haut le terrain politique comme tel ! Il nous a semblé au contraire ajusté de ne pas chercher à "cléricaliser" le vote mais plutôt d’aider les chrétiens citoyens à s’interroger en conscience sur les enjeux essentiels. À quelques exceptions près, ce positionnement a été compris et apprécié, me semble-t-il. Respecter et encourager pleinement la liberté et le discernement des citoyens, c’est déjà contribuer au bien commun et au renouveau possible de la vie politique.
On oppose trop souvent justesse éthique et justice sociale, le levier premier du bien commun et d’une paix retrouvée est la promotion vraie de la dignité humaine dans toutes ses dimensions.
Dans le texte publié par la Conférence des évêques de France pour la présidentielle, vous invitiez à retrouver le sens de la vie en commun. Les résultats semblent montrer que le vote a été particulièrement dépendant des groupes sociaux et des générations : comment recoudre notre société ?
C’est la question essentielle en effet. Il y a, d’une part, tout le travail éducatif, social, fraternel à accomplir sur le terrain et dont les chrétiens sont déjà des acteurs significatifs et engagés en partenariat avec d’autres. Fondamentalement cependant, je crois qu’on oppose trop souvent justesse éthique et justice sociale et que le levier premier du bien commun et d’une paix retrouvée est la promotion vraie de la dignité humaine dans toutes ses dimensions.
Vous avez été aumônier des députés, pourquoi leur rôle vous semble-t-il important ?
Un discernement législatif soigneux a beaucoup à gagner du travail parlementaire, avec son cortège d’auditions, de débats et d’amendements. Cela dit, le quinquennat, la fausse bonne idée du non-cumul des mandats, qui a fait émerger une génération de parlementaires hors-sol, et l’implacable discipline des groupes a considérablement abîmé les institutions parlementaires et, partant, notre démocratie. Le fait que nos institutions semblent parfois tourner à vide contribue au désengagement voire à la colère de nos concitoyens. Il est indispensable que cela soit pris réellement au sérieux.
Le système des partis ne condamne-t-il pas à l’abandon des convictions profondes ?
Les partis ont pu être et devraient être des lieux de réflexion, de travail, d’élaboration de propositions politiques, d’accompagnement de leur mise en œuvre. Nous voyons bien qu’ils sont parfois devenus des syndicats d’élus sans le minimum de convictions partagées. Le problème, c’est moins les partis comme tels que l’absence d’enracinement, et même de désir d’enracinement, de ceux qui les dirigent. Il y a heureusement ici et là quelques exceptions…
Personne ne doit se prendre pour le messie mais tous sont appelés, dans les responsabilités qui sont les leurs, à contribuer au bien commun et ils en sont capables.
Que dites-vous aux catholiques désabusés par la vie politique ? Pourquoi est-il heureux que le candidat idéal n’existe pas ?
Il n’est pas anormal que la vie collective de notre humanité blessée par le péché soit laborieuse. Nous croyons que le Seigneur nous offre les grâces nécessaires pour faire face aux exigences du temps. Personne ne doit se prendre pour le messie mais tous sont appelés, dans les responsabilités qui sont les leurs, à contribuer au bien commun et ils en sont capables. Avant l’identité des acteurs, à tous niveaux, l’important est la vérité sur le mystère de la personne humaine et de la vie en société.
Vous avez écrit un livre pour que les chrétiens ne perdent pas l’espérance. Comment la maintenir concrètement quand on voit que la société semble prendre le contre-pied de l’Évangile ?
C’est précisément la nuit qu’il faut croire à la lumière et travailler à l’accueillir. Le point de vue de l’espérance n’est pas celui de l’optimisme naïf mais de la lucidité et de l’engagement. Je veux croire qu’il y a aujourd’hui en France, parmi les chrétiens notamment, les ressources humaines d’indispensables renouveaux, qui passeront par l’enracinement intellectuel et spirituel, l’audace créative, la droiture et le courage.