Aleteia : Après l’élection présidentielle que nous venons de vivre, comment envisagez-vous les législatives qui approchent ?
Marc Lambret : Nous sommes dans une situation curieuse que je qualifierais de “fausse clarté”. Il y a dans notre paysage politique un bouleversement que tout le monde observe : la vie politique charpentée par l’alternance entre les deux partis de gouvernement de gauche et de droite a vécu. Les nouvelles forces en présence, un parti central de gouvernement et deux partis radicaux et contestataires ne présentent qu’une situation instable, apparemment claire, mais qui appelle une résolution dont personne ne peut pour le moment prédire la forme. En attendant, la situation satisfait les partis en vogue.
La vie politique est d’abord le reflet de notre société individualiste.
Quant à l’effondrement que je viens de décrire, la question n’est pas son existence mais plutôt sa temporalité et sa violence. Pour le bien de notre société démocratique, il me semble que la chute pourrait être amortie par un relatif maintien des deux partis d’alternance, le PS et LR. Si, au contraire, le Parlement accueille plutôt des élus des partis contestataires et du parti présidentiel, l’évolution sera accélérée, et l’on risque de faire face à une agitation populaire. Au fond, la société telle qu’elle est aujourd’hui ne correspond plus au système des partis dont nous avons hérité. Décrite comme “liquide” et “archipélisée” par les philosophes et sociologues, elle ne se reconnaît plus dans les partis politiques classiques, image de combats. La vie politique est d’abord le reflet de notre société individualiste.
On sait que l’abstention est souvent plus élevée aux législatives qu’à l’élection présidentielle : les députés ne manquent-ils pas de considération pour leur travail ?
Pas tellement, en tout cas pas principalement. Je crois surtout que la désaffection pour le Parlement vient du déracinement des élus. Un déracinement qui vient d’un double phénomène : d’abord la corrélation entre le mandat présidentiel et le mandat parlementaire qui rend l’élection législative plus nationale, ensuite la fin du cumul des mandats. Les députés n’ayant plus de pouvoir exécutif au niveau local, les citoyens n’ont plus de perception concrète de la démocratie, ils ne se voient plus comme membres d’un peuple au destin commun. La démocratie est avant tout locale !
Sur quels sujets en particulier les députés vous semblent-ils avoir de l’influence ? L’écologie, la bioéthique, la justice sociale…
On dit souvent, et depuis longtemps, que l’Assemblée nationale est une chambre d’enregistrement. Même au temps, pas si lointain, de l’alternance, malgré une forme d’opposition théâtrale, l’Assemblée enregistrait les décisions du pouvoir exécutif. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, en 2017, cette forme de jeu entre deux visions de la France apparemment irréconciliables n’est plus possible. Aujourd’hui, un seul parti central domine et semble créer une nouvelle divergence entre ceux qui font confiance à un parti de gouvernement et ceux qui ne le font pas, les “fâchés” dont parle Jean-Luc Mélenchon. Dans la législature qui vient, le cas va empirer. Les tribuns de gauche (Jean-Luc Mélenchon) et de droite (Marine Le Pen) jouant le rôle d’idiot utile pour permettre à la majorité de continuer sa politique sans résoudre le problème de cohésion sociale.
Notre monde ne comprend plus comment les personnes sont liées entre elles.
Plus concrètement, les députés ont une influence certaine en ce sens qu’ils sont représentatifs de la société française et qu’ils font rentrer dans le droit ses évolutions. A défaut d’infléchir la politique gouvernementale, ils conforment la loi aux idées contemporaines. Encore une fois à cause de l’individualisme : accorder un droit à quelqu’un est possible tant que cela n’aura pas d’influence sur moi. Notre monde ne comprend plus comment les personnes sont liées entre elles. L’exemple typique de ce que j’essaye de décrire est celui de la bioéthique : ce sont bien les députés qui ont fait la loi dans ce domaine, le gouvernement laissant faire par souci électoraliste.
Malgré tout ce que vous expliquez, et qui pourrait être décourageant, pourquoi est-ce tout de même important de voter ?
Parce que ça vaut mieux que de ne pas le faire ! Plus sérieusement, au-delà du devoir moral que représente le vote pour un citoyen, qui plus est chrétien, il me semble que nous devons d’abord voter pour éviter que la reconfiguration que j’ai décrite plus haut ne soit trop violente. Nous devons avoir le souci de l’ordre social et de la paix.
Plus encore, dans ce contexte, le vote devient un geste prophétique. Le chrétien qui met son bulletin dans l’urne semble dire avec espérance : oui, un avenir commun est possible en plus d’être souhaitable. Il faut continuer d’espérer que la vie ensemble est bonne.
Aucun candidat, dans aucune circonscription, n’est parfait : quels sont les critères qui vous semblent importants pour voter en chrétien ?
Puisqu’il faut redonner à la démocratie une dimension locale, votons d’abord pour une personne, ses qualités humaines principalement puis sa dimension politique. Ensuite on peut regarder ses solidarités, les alliances faites en vue du deuxième tour et réfléchir aux forces que l’on veut voir puissantes au Parlement. Enfin : quelle chance voulons-nous donner à l’avenir ? Local et avenir sont les deux mots essentiels : c’est une fiction de dire que le député représente la nation.
Comment, comme chrétiens, s’engager dans la cité ?
Assez étonnamment, je pense que l’Eglise catholique est en passe de devenir la dernière force significative où se vit la cohésion sociale. Fin des partis traditionnels, effacement des syndicats…l’institution ecclésiale reste un corps intermédiaire important, avec 2% de la population qui pratique et presque 50% de sympathisants. Dès lors, pour s’engager pour la cité, je crois qu’il faut vivre vraiment en catholique : aller à la messe, prier et faire grandir sa foi, agir dans la société avec la vive conscience de le faire pour promouvoir une vie commune au nom de notre Père. Evidemment, certaines lois sont mauvaises, mais il ne faudrait pas constituer une contre-société : ce serait une impasse et une erreur. Là encore, le rôle des chrétiens est prophétique, et comme tout acte prophétique, il rime avec inventivité. Si la vie ensemble appelle la création d'associations, de partis politiques, de nouvelles formes d’engagement, il faut y aller.
Que peut-on (ou doit-on) demander à Dieu pour les candidats et les futurs élus ?
Deux choses, apparemment banales mais éminemment nécessaires dans le monde qui est le nôtre. Il faut d’une part prier Dieu pour que les hommes politiques prennent les moyens d’éclairer leurs consciences, d’autre part qu’ils la respectent. C’est bien ce qui manque en général lors du vote des lois sociétales… J’ajoute qu’il ne faut pas pour autant confondre convictions et conscience : il n’est pas en soi mauvais de suivre une consigne de parti, qui peut d’ailleurs montrer le souci de la cohésion. En revanche, il faut toujours suivre sa conscience, et donc la former. Pas seulement pour les candidats ou les élus d’ailleurs ! On peut aussi prier les phrases du concile : “Que tous les citoyens se souviennent à la fois du droit et du devoir qu’ils ont d’user de leur libre suffrage, en vue du bien commun.[...] Que la coopération de citoyens responsables aboutisse à d’heureux résultats dans la vie politique de tous les jours” (Gaudium et Spes, §75).