Comme le Beaujolais, une nouvelle cuvée de ministres doit avoir la banane, avec ce goût frais et léger censé vous requinquer. Il faut du nouveau pour dire qu’on fait quelque chose. Car en politique, on vieillit à toute vitesse. Les acteurs de ce milieu deviennent souvent leur marionnette. Ils s’agitent jusqu’à l’épuisement sur les planches du théâtre des médias. Et leur spectacle finit par lasser. Alors, on en change. Même si cette fois, les gros résistent, comme Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, ou Éric Dupond-Moretti. Un remaniement sert à botoxer une galerie de portraits officiels, et ce n’est pas un hasard si politique rime avec cosmétique. Dans les faits, les ministres n’ont pas beaucoup de pouvoir. En haut, c’est l’Élysée qui décide. En bas, ils sont les otages de leurs directions centrales et des syndicats.
Le tango des idées
Combien de ministres envoyés sur le pont de l’Éducation nationale n’ont jamais pu empêcher son sabordage, si tant est qu’ils l’aient voulu ? Qui changera le cap de ce paquebot fantôme que tout le monde veut quitter, les parents comme les profs, ayant la certitude qu’il s’échoue tous les jours sur les récifs de l’absurdité ? Nul ne croit qu’il y aura du nouveau — j’entends du mieux — à l’horizon des défis de l’enseignement en France. Ne chargeons pas trop Pap Ndiaye, ce n’est pas tous les jours qu’un Pap émarge au pays de la laïcité. N’en faisons pas non plus une Pap star. Le normalien porte une charlotte sur la tête ou plutôt dedans, depuis ses études en Virginie, où il passa du vieil universalisme à la française à une vision nouvelle en noir et blanc. Sans ajouter à la polémique, sa nomination montre une chose : la Macronie s’est choisi Jean-Luc Mélenchon pour danser le tango des idées. Pap Ndiaye sera-t-il au président actuel ce que Christiane Taubira fut à son prédécesseur, la signature et l’icône ? Ce choix, diront ses détracteurs, témoigne de la pénétration des campus US dans la glaise de nos habitudes de pensée.
Wokisme, indigénisme, ces mots naguère inconnus débarquent sur nos plages médiatiques depuis l’épisode des BLM (Black Lives Matter).
Wokisme, indigénisme, ces mots naguère inconnus débarquent sur nos plages médiatiques depuis l’épisode des BLM (Black Lives Matter). On dit que ces idées sont minoritaires. Ce n’est pas si vrai et, de toute façon, cela n’a aucune importance. Yannick Jadot a eu beau peser moins de 5% à la présidentielle, l’Élysée fait du nouveau quinquennat celui de la "planification écologique". Marine Le Pen, pourtant arrivée deuxième le 24 avril, a fait un petit (second) tour puis s’en est allée, sans qu’aucune des inquiétudes que son nom portait n’ait été prise en compte. Cette surdité institutionnelle à son égard relativise l’importance de l’élection présidentielle. Elle révèle aussi que "l’extrême-droite" ne pèse rien, quand l’extrême-gauche est puissante et organisée.
Être et durer
Le discours présidentiel s’enivre de nouveauté quand beaucoup de Français ne cherchent qu’à rester eux-mêmes. Quel sens donner à cette épithète nouveau — qui revient comme une rengaine ? "Ce peuple nouveau, différent d'il y a cinq ans, a confié à un président nouveau un mandat nouveau", a dit Emmanuel Macron. Ces paroles laissent perplexes. Qu’il s’agisse de l’homme nouveau des cocos ou de l’ordre nouveau des fachos, cet adjectif annonce rarement quelque chose de bon. En quoi le président est-il nouveau puisqu’il vient de resigner son bail ? Pourquoi le peuple serait-il nouveau ? Sauf à désirer la créolisation ou le grand remplacement, auquel cas Emmanuel Macron serait atteint de mélenchonite et de zemmourisme.
Le peuple n’en demande pas tant ; ce n’est même pas du tout ce qu’il demande : un État, une nation ou une personne, ne songe qu’à une chose : vaincre le temps qui l’assaille, afin de se perpétuer dans les meilleures conditions possibles. Toute institution, que ce soit la famille ou l’entreprise, est mue par l’instinct de conservation. L’innovation elle-même ne sert qu’à s’adapter pour se perpétuer. Le nouveau est toujours au service de l’ancien ; c’est d’ailleurs la définition même de la tradition. Être et durer, telle est l’obsession fondamentale. L’Église serait bien inspirée de méditer cette devise que le Malin ne cesse de combattre par tous les moyens que les séductions modernes mettent à sa disposition. L’éducation, quand elle est bonne, sert à transmettre aux jeunes les armes dont ils ont besoin pour s’engager dans le grand couloir du temps. Si Emmanuel Macron adulait ce qui est nouveau, il aurait renoncé à sa charge pour laisser la place à d’autres visages que le sien. C’est la preuve que lui aussi fait comme tout le monde : vouloir rester assis là où il est. Se conserver.
La rupture partout
Certains ministères ont des noms amusants : "Europe et Affaires étrangères", un délicieux oxymore. "Transition écologique et cohésion des territoires" confesse le rejet de l’écologie punitive par la France périphérique. "Transformation et fonction publique" a de quoi faire méditer quand on poireaute au guichet de la CAF, où obtenir un rendez-vous est mission impossible. Une dernière pique pour le ministère des Outre-Mer, dont le pluriel n’est pas nouveau. Cette concession à la démagogie diversitaire a quelque chose d’agaçant et de lexicalement impropre. Le ministère de l’Outre-Mer suffisait bien et incarnait l’unité républicaine, quel que fût l'horizon.
La rhétorique du nouveau est plus sournoise qu’il n’y paraît. Au fond, elle désire la rupture, la veut partout, pour que rien ne subsiste, que tout se liquéfie au passage de son action. Ce volontarisme dissimule une violence. Rien ne doit plus être ni durer. Le nouveau relègue le temps long à l’image infamante de l’immobilisme. Ce temps nouveau condamne à l’enfer celui qui refuse la mobilité. Cette étreinte est très forte et s’engager pour la vie, dans la famille ou les ordres, devient héroïque et marginal.