Fin de règne outre-Manche, lit-on ici ou là. Preuve, arguent les chroniqueurs, la reine Élisabeth II n'a pas honoré l'une de ses principales prérogatives, en laissant à son fils, le prince Charles, le soin de lire le traditionnel discours du Trône devant le parlement britannique. On a imputé son absence à une faiblesse due à son âge — 96 ans —, à sa santé périclitante ou encore à sa perte de moral depuis son veuvage du duc d'Édimbourg. Triste parfum de fin de règne... Sauf, qu'en début de semaine, Élisabeth est apparue, souriante et toute de jaune vêtue et chapeautée, dans la gare de Paddington pour inaugurer une nouvelle ligne de métro portant son nom. Son apparition surprise a tordu le cou à la rumeur mortifère. Et elle a pris de court une doxa médiatique souvent péremptoire et prompte à enterrer nos séniors les plus illustres avant que ne sonne leur dernière heure !
Le Pape tient bon la barre
À Rome aussi, où je me trouvais pour vivre en direct la canonisation de Charles de Foucauld, j'ai lu des commentaires sur le pape François qui donnaient l'air de sonner le glas de son pontificat. Qui prenaient aussi des accents malveillants et peu amènes fort regrettables. Fin de règne au Vatican... Certes la vision donnée dimanche par le pape à la multitude de fidèles massés sur la place Saint-Pierre n'était pas des plus rassurantes et elle pouvait alimenter de lugubres vaticinations. Après la messe célébrée dans une chaleur accablante, on l'a vu, assis dans la papamobile, aller bénir la foule : son visage avait un teint gris et des traits tirés qu'on ne lui connaissait pas d'habitude.
Le Pape est fatigué physiquement. Mais il tient toujours bien la barre de l'Église.
Âgé de 86 ans, François souffre d'une douleur chronique au genou droit. Le Pape est fatigué physiquement. Mais il tient toujours bien la barre de l'Église si l'on en juge par le menu toujours complet de son agenda quotidien, par ses projets de voyages et par son implication personnelle dans la préparation du synode romain sur la synodalité prévu en octobre 2023. On sait que dans son esprit, c'est "la grande affaire" du pontificat. Ce synode qu'on annonce tendu n'aura peut-être pas des résultats immédiats, mais il engagera l'Église dans un processus de "réformisme missionnaire" qu'il voudrait irréversible. Par conviction et par tempérament, François ne ménagera donc pas ses efforts pour réaliser ce dessein. Un autre signe ne trompe pas sur sa vivacité : il a gardé intact son sens de l'humour. "Savez-vous ce dont j'ai besoin pour ma jambe ? D'un peu de téquila" a-t-il blagué en répondant à des pèlerins mexicains.
Liberté intérieure
Les soi-disant fins de règnes sont souvent des trompe-l'œil. Dans ces deux exemples, les signes d'une fragilité apparente servent à extrapoler à partir de conjectures plus ou moins fondées. Elles allèguent qu'on assiste à une fin de partie avec son lot de déliquescence et de décadence. Elles se polarisent sur l'apparence, l'écorce abimée de "souverains" en fin de course. Elles oublient qu'ils sont des humains doués de liberté intérieure : celle qui leur donne le ressort pour surprendre et contredire les mauvais et parfois les méchants augures qui spéculent sur leur usure.
Loués donc soient nos seniors qui témoignent par leurs ressources intérieures de la présence, en notre monde, du Royaume... qui n'a pas de fin !