« Je rêve d’un nouvel humanisme européen. » On se souvient que le pape François, il y a six ans, avait fait aux eurodéputés le portrait d’une Europe « grand-mère », fatiguée et vieillie, qui avait déserté son idéal. Une Europe loin des peuples et plus soucieuse de garder son territoire que d’enclencher des processus d’inclusion et de transformation. La pandémie du Covid a montré que, lorsqu’elle le veut, l’Europe peut être réactive et se saisir d’un problème grave et urgent qui ne relève pas de sa compétence : la santé. Elle a montré aussi qu’elle était capable de s’engager financièrement et solidairement pour que tous les pays puissent affronter la crise économique avec le soutien européen.
Une nouvelle ère
Or le 24 février dernier, l’Europe a basculé dans une nouvelle ère. Le Vieux Continent entend à nouveau les bruits de bottes à sa porte — 1.500 km de Berlin, 800 km de Varsovie — et pour ces pays de l’Est, l’invasion de l’Ukraine par la Russie ravive le souvenir des traumatismes de la période soviétique. Pour tous, c’est un choc, une sidération : Poutine a osé ! Et la vieille Europe que l’on disait lente, bureaucratique, inefficace se réveille en sursaut. En quelques jours et à l’unanimité, des décisions fortes sont prises pour sanctionner la Russie par des mesures économiques très restrictives et soutenir l’Ukraine par des financements et la fourniture d’armes. L’Europe est redevenue en quelques jours une puissance au cœur du jeu mondial, une puissance diplomatique et militaire.
Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été sa dernière utopie.
Tant mieux ! Mais cette saine réaction provoquée par la crise sanitaire, puis par la guerre, ne doit pas faire illusion. L’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne n’est pas pour demain et repose la question de la Turquie qui attend depuis vingt ans. La révision des traités, procédure lourde, longue et complexe n’est pas une bonne idée. Souvenons-nous de Maastricht ! L’idée d’une « communauté politique » est sans doute plus intéressante si elle remet au cœur des débats la question démocratique. La Conférence pour l’avenir de l’Europe qui a donné la parole à un panel de citoyens apporte-t-elle des idées neuves ? Sera-t-elle suivie d’effets et prise au sérieux ?
Le rêve du pape François
Ce tournant européen imprévu est peut-être le moment favorable, le kairos, pour réécouter l’appel que le pape François lançait en 2016 à l’occasion de la remise du prix Charlemagne : « Je rêve d’un nouvel humanisme européen… Je rêve d’une Europe jeune, capable d’être encore mère… une Europe qui prend soin de l’enfant, qui secourt comme un frère le pauvre… Je rêve d’une Europe qui écoute et valorise les personnes malades et âgées, pour qu’elles ne soient pas réduites à des objets de rejet improductifs. Je rêve d’une Europe où être migrant ne soit pas un délit mais plutôt une invitation à un plus grand engagement dans la dignité de l’être humain tout entier. Je rêve d’une Europe où les jeunes respirent l’air pur de l’honnêteté, aiment la beauté de la culture et d’une vie simple, non polluée par les besoins infinis du consumérisme ; où se marier et avoir des enfants sont une responsabilité et une grande joie, non un problème du fait du manque d’un travail suffisamment stable. Je rêve d’une Europe des familles, avec des politiques vraiment effectives, centrées sur les visages plus que sur les chiffres, sur les naissances d’enfants plus que sur l’augmentation des biens. Je rêve d’une Europe qui promeut et défend les droits de chacun, sans oublier les devoirs envers tous. Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été sa dernière utopie. » Qui entendra le pape ?