La surprise de l’élection présidentielle du 24 avril tient à ceci que justement rien ne s’est passé qui n’ait été prévu : il n’y a pas eu de surprise. Les enjeux économiques, les périls extérieurs, l’exaspération d’un pouvoir arrogant, le recours usé à la peur des extrêmes, la campagne éclipsée, l’envie de changer, la colère silencieuse, la lassitude, rien n’a pu empêcher le renouvellement clair et net du mandat du président sortant. Voilà Emmanuel Macron reparti pour un mandat comme par tacite reconduction avec, chez beaucoup d’électeurs, un sentiment d’inachèvement et l’impression que l’élection est finie avant d’avoir commencé. Mais la réalité est là.
La fin du vote catholique
Plusieurs leçons peuvent être tirées de ce que nous venons de vivre. La première, c’est que l’élection présidentielle de 2022 aura marqué la disparition de l’électorat catholique. Il exista jusqu’en 2017 un vote catholique relativement homogène, caractérisé par une participation élevée, un rejet des extrêmes et un penchant pour tout ce qui ressemblait au centre droit. C’est fini : ce qui reste de l’électorat catholique en France s’est dispersé dès le premier tour. Les extrêmes ont eu pour la première fois les faveurs d’une fraction significative du vote des catholiques pratiquants, en dépit — si c’est n’est en raison — des incantations morales des institutions bien pensantes. De surcroît, les catholiques pratiquants semblent s’être assez massivement abstenus au second tour, quand ils n’ont pas voté blanc. Ils paraissent s’être répartis en trois tiers : Le Pen, Macron, abstention. Il n’y a plus de vote catholique. Tout se passe comme si la page ouverte en 1892 avec le ralliement voulu par Léon XIII et son encyclique Au milieu des sollicitudes venait d’être tournée. Derrière cet éclatement, il faut faire un gros effort pour discerner un désir de rebâtir un projet politique chrétien. Tout est à construire, mais qui en a l’énergie ? Nous devons nous attendre à des moments difficiles, tant les enjeux sociétaux à venir sont difficiles à regarder en face.
Une élection par devoir
Une deuxième leçon du scrutin, c’est l’effacement du vote d’adhésion. Emmanuel Macron est à ce jour le seul président de la Ve République à avoir été réélu alors qu’il était réellement sortant, et non pas empêtré dans une cohabitation. Est-ce une preuve d’adhésion autour de sa personne ? Il semble que non. Emmanuel Macron a été réélu non pas parce qu’il sortait d’une cohabitation avec un gouvernement opposés à lui, comme Mitterrand en 1988 ou Chirac en 2002, mais parce qu’il sortait de deux ans de cohabitation avec un virus et de deux mois de cohabitation avec une guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le sortant de 2022, c’était la Covid 19. La guerre en Ukraine a aussi joué un rôle. Il y a eu dans la reconduction de Macron un aspect « on ne change pas de cheval au milieu du gué ». Aucune adhésion populaire, aucun élan d’enthousiasme ne s’est manifesté ces dernières semaines en faveur du sortant. Les Français ont voté Macron par devoir. Et l’on sait à quels désaccords aboutit le devoir accompli sans plaisir.
Le poison lent de la colère silencieuse
Une troisième leçon est que les Français, vieux peuple, sont fatigués de s’exprimer par des colères sonores. Désormais, le mécontentement ne se traduit plus par des cris, mais par du silence. Il ne s’agit plus de descendre dans la rue mais de rester chez soi. Ne prenons pas l’abstention de ce second tour — sensiblement plus élevée qu’en 2017 — pour de l’indifférence : elle est la colère silencieuse d’un électorat dépité. Il existe depuis des années une crise de l’offre politique, qui est un lent poison. Emmanuel Macron a été réélu par des millions d’électeur résignés. Sa base est beaucoup plus faible qu’en 2017. Le scénario du ralliement de tous les modérés au Centre au pouvoir peut fonctionner à court terme, mais nul ne sait combien de temps il sera tenable.
La grande déconstruction
Enfin, dernière leçon, il est temps pour ceux qui ne l’aurait pas fait de relire les déclarations et le projet du président réélu. Au-delà de la fuite en avant budgétaire et de l’opportunisme écologique, la grande déconstruction reste au cœur du projet macronien. Le président de la République n’est que le président de la République. Il ne peut pas tout. Sur les grands sujets économiques et stratégiques, les circonstances décideront pour lui. Il le sait. Sa marge de manœuvre économique étant des plus limitée dans un pays qu’il a surendetté, il ne lui restera, pour prouver qu’il peut changer quelque chose, qu’à agir dans les domaines sociétaux qui ne coûtent pas d’argent : la déconstruction de l’État, la décomposition de la famille, l’euthanasie libéralisée, l’inscription de l’avortement dans les droits fondamentaux de niveau constitutionnel, la réécriture de notre Histoire, la standardisation de notre culture, l’ignorance ou le mépris de tout ce qui est petit, faible ou marginal. Sur ces sujets, nul doute que le président réélu aura à cœur d’avancer. Car il croit que l’Histoire est écrite d’avance et qu’il ne faut pas prendre de retard sur l’air du temps. Il croit à la raison du plus fort. Dans le monde qui se prépare, il ne restera bientôt que le dernier carré chrétien pour faire entendre la voix de l’espérance promise aux faibles et aux petits.