La question se pose. Le printemps se profile et avec lui les fêtes des mères, des pères, des grand-mères (les grand-pères ne comptent pas, c’est un mystère...), mais aussi les multiples fêtes de familles qui coïncident avec les beaux jours, incluant mariages, baptêmes, anniversaires. On engendre et on le fête, d’une façon ou d’une autre. Et pourtant, est-ce bien raisonnable de faire encore des enfants ? Et si vous ne vous posez pas la question, sachez que les jeunes adultes sont de plus en plus nombreux à tenir un discours hyper-pessimiste. L’Antarctique fond à vue d’œil, la guerre est à nos portes, les réserves naturelles s’épuisent et nous jetterions dans ce monde sans avenir de pauvres humains supplémentaires, futures victimes mais aussi futurs responsables de la catastrophe climatique ? N’est-ce pas irresponsable ? inconscient ? et foncièrement égoïste que de faire passer le désir d’enfant avant toute considération environnementale et économique ? Donc oui, la question se pose.
Évidemment, on sait que selon Malthus, déjà, il était irresponsable d’avoir des enfants : la croissance démographique rimant avec risque de pénurie alimentaire. Et peut-être que, bien avant lui, l’homme de Cro-Magnon se demandait aussi s’il était bien raisonnable de lancer dans l’existence une progéniture menacée par la guerre du feu et la pénurie de mammouths… Blague à part, c’est une question, actuelle et inactuelle : pourquoi avoir encore des enfants ?
Le mystérieux désir d’enfant
Évidemment, l’optimiste nous répondra que la solution fait partie du problème : un enfant, un futur adulte est celui qui peut changer le monde, proposer de la nouveauté, créer les conditions d’un monde meilleur, et que si le monde peut et doit changer, cela se fera par l’essor permanent des générations nouvelles, et non du fond des maisons de retraite où joueront au scrabble une génération de pessimistes sans descendance. Voilà une bonne raison de mettre des enfants au monde. D’ailleurs, il ne semble pas que l’extinction de l’humanité soit une réponse aux problèmes de ceux que l’on aura privé d’existence… pas plus qu’elle ne résoudra les problèmes des générations actuelles : qui financera leurs parties de scrabble entre seniors ? Mais reconnaissons aussi les limites de cette vision optimiste : on a beau jeu de refiler le bébé, comme on dit, à la génération suivante. Et par ailleurs, n’est-ce pas une façon d’instrumentaliser la génération suivante ? Nos enfants sont-ils là pour changer le monde ?
Unissant l'égoïsme du désir à la générosité sans limite de l’accueil d’un autre que soi, nous donnons la vie. Acceptant de voir se jouer en nous la peur du lendemain et la foi en l’avenir, nous donnons la vie.
Alors assumons le caractère hautement mystérieux du désir d’enfant. Toutes les bonnes raisons de ne pas vouloir d’enfant, combinées aux raisons de ne pas pouvoir en avoir, plaident pour une mise sur pause de la grande marche de l’humanité. Et pourtant, nous continuons inlassablement de donner la vie. Mystérieusement. Unissant l'égoïsme du désir à la générosité sans limite de l’accueil d’un autre que soi, nous donnons la vie. Acceptant de voir se jouer en nous la peur du lendemain et la foi en l’avenir, nous donnons la vie. Risquant notre confort, tout en nous exposant à la joie d’être aimé, nous donnons la vie. Surmontant la peur de l’accouchement, mais souriant à l’idée du tout petit bébé niché dans le creux du cou, nous donnons la vie. C’est ainsi, nous donnons la vie sans autre raison valable que celle-ci : nous donnons la vie parce que nous l’avons-nous même reçue, ce qui en soi est un mystère. Nous l’avons reçue sans l’avoir demandée : nous avons été jetés à la caresse du soleil et au retour du printemps sans l’avoir mérité, nous ouvrons les yeux chaque matin sans en avoir fait la demande écrite la veille au soir. Ce cadeau qui nous est fait ne peut rester enfermé entre nos mains : il n’y a pas de meilleure raison.