Lors d’une récente interview accordée aux Échos (7/3/2022), le ministre du Travail Élizabeth Borne analyse les résultats de la quatrième édition de l’Index égalité professionnelle. Les entreprises progressent d’un point par rapport 2021 : le ministre se réjouit de cette dynamique de réduction des inégalités professionnelles, en dépit de certaines discriminations persistantes. Élizabeth Borne affirme par ailleurs que pour aller vers l’égalité, la lutte contre les stéréotypes de genre est une nécessité : trop de jeunes filles choisiraient les filières littéraires alors que nous avons de plus en plus besoin d’ingénieurs... Selon elle, l’origine du problème se trouverait tout simplement dans l’orientation (scolaire...) des jeunes filles.
Ce discours est cuit et recuit : en dépit de leurs bons résultats scolaires dans les matières scientifiques, les filles s’autocensureraient dans le choix des études supérieures, elles seraient les sempiternelles victimes des stéréotypes de genre selon lesquels la société les déterminerait à se diriger vers de prétendus métiers féminins, bien moins considérés. À force d’acheter des poupées et des dînettes aux petites filles, leurs mères rétrogrades issues tout droit des albums de Martine-petite-maman, fabriqueraient des générations "assignées" à la sphère domestique ? Quant aux professeurs (une écrasante majorité de femmes…) chargés de l’orientation des élèves notamment au lycée, ils apprécieront sûrement d’être considérés au passage comme les relais naïfs de préjugés sexistes, de faire l’objet de cette désagréable suspicion d’incompétence ou de bêtise machiste, allez savoir.
Qu’il y ait très peu de garçons dans les spécialités humanités ce n’est pas grave, mais quand les filles sont en minorité dans les écoles d’ingénieurs, c’est un drame.
Mais quand va-t-on cesser de considérer les jeunes filles comme de pauvres idiotes incapables de se déterminer par elles-mêmes ? Quand va-t-on cesser de les suspecter de faiblesse, de manque d’ambition, de soumission passive à de prétendues injonctions sociétales ? Et à l’inverse, qui s’inquiète de la sous-représentation des garçons en IFSI (Institut de formation en soins infirmiers) ? Qui déplore les sous-effectifs masculins dans les contingents de professeurs des écoles ? Que fait Marlène Schiappa sur la question ? On ne manquerait donc pas d’infirmières et d’infirmiers ? Et quelles sont les femmes, en France, qui éduquent leurs filles comme au XIXe siècle ? De plus, quand une fille choisit de ne pas se tourner vers des études scientifiques c’est un problème, mais qu’un garçon déclare ne pas aimer le français, la grammaire ou le latin, c’est un non-sujet : elle est là, l’inégalité de traitement. Qu’il y ait très peu de garçons dans les spécialités humanités ce n’est pas grave, mais quand les filles sont en minorité dans les écoles d’ingénieurs, c’est un drame.
Une instrumentalisation déguisée
Osons remettre en question cette injonction à aller vers les sciences qui pèse sur les filles, osons en chercher le bien-fondé : remplir les écoles d’ingénieur avec des filles parce qu’on manque d’ingénieurs, n’est-ce pas une instrumentalisation déguisée ? Osons nous rapprocher de la réalité, du terrain : prenons au sérieux toutes ces jeunes filles qui exposent avec sérieux et lucidité les raisons pour lesquelles elles veulent étudier le droit, l’histoire, les lettres, l’économie, les sciences humaines ou politiques, la gestion, la médecine… Si elles ont été suffisamment malignes pour briller en maths jusqu’au bac, reconnaissons leur autant d’intelligence pour choisir leur voie avec discernement.