La présidente d’ATD (Agir Tous pour la Dignité) Quart Monde déplore que la question de la lutte contre la pauvreté soit absente du débat présidentiel.
4 questions à Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde
Aleteia : Quelles sont, selon vous, les mesures prioritaires que devra prendre le prochain président de la République une fois élu ?
Claire Hédon : Pour être efficace dans la lutte contre pauvreté, il faut agir sur l’ensemble de l’accès aux droits. C’est un passage obligé pour que chacun puisse vivre décemment. La réalité d’une personne en situation de précarité n’est pas juste de tenter de survivre avec moins de 1000 euros par mois. Sa réalité quotidienne, c’est qu’elle n’a pas accès au logement, à la santé, au travail, à l’éducation et à la culture. Nous ne demandons pas de lois supplémentaires, simplement que le droit soit appliqué dans sa globalité.
L’accompagnement des personnes en situation de pauvreté est essentiel, notamment dans les démarches administratives qui sont d’une grande complexité. Pour cela il faut débloquer des financements nouveaux.
Il est primordial de considérer les personnes très pauvres comme les autres. Il faut combattre les préjugés qui humilient. Trop souvent, on les assimile à des fraudeurs alors que, pour ne citer qu’un seul exemple : 33% des personnes ayant droit au RSA n’y ont pas recours.
Enfin, il est indispensable d’associer les personnes très pauvres avec leur expérience et leur intelligence, à l’élaboration des dispositifs de lutte contre la pauvreté. Si on ne prend pas la peine de les associer, le combat est vain.
Concrètement, comment cela se traduit-il ?
La lutte contre la pauvreté commence très en amont. Ainsi, pour l’école, au-delà des moyens financiers supplémentaires nécessaires, il faut avant tout créer des lieux de rencontre avec les parents. Nous l’avons expérimenté : lorsque les parents d’enfants en situation d’échec scolaire sont accueillis et associés à l’école, les obstacles à l’apprentissage se lèvent. N’oublions pas que plus de 100.000 jeunes sortent chaque année sans qualification du système scolaire et que trop d’enfants arrivent en sixième sans savoir lire et écrire correctement.
En matière de logement, les plus pauvres n’ont pas accès au logement social. Nous devons construire au moins 60 000 logements sociaux chaque année. Et le montant du loyer doit être fixé en fonction des revenus de la famille.
La question du travail est au cœur de la lutte contre la pauvreté. La démarche Territoires zéro chômeur de longue durée doit être étendue. Et pour que les jeunes ne restent pas sur le bord de la route, il faut leur garantir l’accès à des formations qui représentent un véritable tremplin vers un emploi pérenne.
Enfin, il me paraît essentiel que l’impact des programmes de lutte contre la pauvreté soit évalué sur les 20% les plus pauvres. Si on se donne les moyens d’aider les 20% les plus fragiles, les 80% restants en bénéficieront forcément. Qui peut le plus peut le moins !
Vous me demandez quelle est la mesure la plus importante : impossible de choisir ! Aucune des quelques mesures que je viens de vous évoquer ne se suffit à elle-même. Tant qu’on saucissonnera les actions de lutte contre la pauvreté en les séparant les unes des autres, on n’y arrivera pas. On ne peut séparer la question du logement de celle de l’éducation, celle de la santé de celle du travail… Arrêtons de penser qu’on peut saucissonner les politiques de lutte contre la pauvreté !
Quel serait donc selon vous le président idéal, celui ou celle qui mettrait en œuvre toutes les mesures que vous évoquez ?
Ce serait selon moi quelqu’un qui ne participe pas à la stigmatisation de ceux qui sont en situation de précarité. Je ne pense pas que seules des personnes ayant réellement vécu dans la pauvreté puissent lutter contre. Mais ce doit être un homme ou une femme qui se tient prêt à les écouter et à leur permettre de participer aux décisions qui les concernent. Si on parachute des gens dans un logement loin de l’école et de leurs proches, il ne faut pas s’étonner que cela ne fonctionne pas. Malgré tout, certains ne pourront s’empêcher de dire : « Et en plus ils ont eu le culot de refuser ! » Il faut en finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté.
Vous avez réagi publiquement sur l’idée du revenu universel. Est-ce la seule proposition qui ait retenu votre attention ?
La question du revenu universel est entrée dans le débat politique et nous avons dû nous prononcer car beaucoup nous ont fait dire que nous étions pour ou contre. ATD-Quart Monde devait donc préciser sa position. Nous ne sommes ni pour ni contre ! Nous souhaitons juste souligner que cette proposition n’a pas été pensée comme un instrument de lutte contre la pauvreté. Elle n’a pas non plus été pensée avec les personnes en situation de pauvreté.
En revanche, ce qui m’indigne, c’est que pour le moment la lutte contre la pauvreté n’est pas du tout au cœur des débats. Elle ne fait pas partie de la préoccupation des candidats. C’est très révélateur. Mais les politiques ne bougeront pas si la société elle-même ne bouge pas… Et malheureusement, je trouve que notre société se raidit. Or en France, nous avons les moyens humains et financiers d’éradiquer la pauvreté.
Propos recueillis par Violaine Pagnol.
Lire aussi :
Le président qu’il nous faut. Jean-Marie Andrès : “J’imagine un mélange entre Saint-Louis et Henri IV”