À la Maison Blanche, les qualités humaines semblent désormais plus importantes que l’expertise technique. S’il est un personnage auquel on peut comparer le nouveau secrétaire d’État américain, c’est bien celui de Cincinnatus. À l’image de cette figure romaine du Ve siècle avant Jésus-Christ, Rex Tillerson répugne à se mettre en avant. C’est d’ailleurs cette qualité, qui a prévalu face aux opportunistes se pressant soudain autour du nouveau président. Cincinnatus mena une violente politique anti-plébéienne. À son image, le secrétaire d’État ne sera guère un adepte du populisme médiatique qui a soutenu jusqu’à ce jour, la classe politique artificielle des adversaires de M. Trump. Connu pour sa réputation d’incorruptibilité, Tillerson sera un homme difficile à manœuvrer pour les groupements et puissances qui souhaiteraient s’emparer des rênes de l’Empire. Qui plus est, l’ancien patron d’Exxon aime sonder les reins et les cœurs, et sait s’entourer de collaborateurs d’une fiabilité absolue. Il y a fort à parier par conséquent, que le corps diplomatique connaisse des remaniements importants.
Quant aux républicains ambitieux qui se voyaient déjà ambassadeurs des États-Unis et le faisaient savoir à leur entourage, ils devront attendre. Les règles du jeu viennent en effet de changer. La politique étrangère des États-Unis sera plus modeste et plus pragmatique, plus soucieuse de l’intérêt national que de la chimère d’une domination mondiale. Dans les luttes de pouvoir, au sein même de l’équipe Trump, entre les partisans d’un sursaut néo-conservateur, s’appuyant sur les alliés pétroliers de l’Amérique au Moyen-Orient, et les défendeurs d’un véritable tournant stratégique au profit d’une renaissance diplomatique géoculturelle soutenue par la Russie, ce sont les seconds qui l’ont emporté. Il leur reste à reconstruire un outil diplomatique dévasté.
Si Rex Tillerson, comme on peut l’imaginer, opère un profond renouvellement du personnel diplomatique américain, dont le recrutement est parasité par : les faux diplomates nommés sur un poste afin d’être récompensés d’un service, les idéologues du State Department aveuglés par une vision biaisée de l’histoire, les ambassadeurs-paresseux croyant que la puissance et la richesse américaine pourront les dispenser de penser, alors, il lui faudra beaucoup de temps. Pendant ce renouvellement silencieux, apparaîtront de nombreux conflits de personnes au sein du département d’État. L’effet sera donc d’accroître temporairement la paralysie américaine avant de lui permettre un redressement à plus long terme. Tout se passe comme si Tillerson ne pouvait travailler que pour son successeur.
Certains s’étonneront peut-être que Rex Tillerson ne soit pas un diplomate de formation. C’est qu’à la Maison Blanche, les qualités humaines semblent désormais plus importantes que l’expertise technique. Cincinnatus n’a-t-il pas lâché la charrue pour être avantageusement placé à la tête de l’État ? Il ne demandait rien, il gouverna. Rex Tillerson, quant à lui, pourra remplir le vide laissé par la diplomatie d’un État devenu trop riche pour exercer son intelligence politique, trop dépendant de ses faux alliés pour mener une politique nationale, et trop faible moralement pour préférer la paix au déclenchement d’un chaos aussi rentable que dévastateur.