Le Conseil de l’Ordre enterre le projet.La cause était entendue. L’Ordre national des pharmaciens avait annoncé la couleur dès le 21 juillet : « Le Bureau du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens demandera au Conseil national, réuni le 6 septembre prochain, de ne pas maintenir en l’état le projet de clause de conscience. » C’est donc sans surprise que le verdict du Conseil national est tombé ce 6 septembre : les pharmaciens de France n’ont pas le droit à la clause de conscience, contrairement aux médecins, sages-femmes, infirmiers, infirmières, et d’ailleurs tous les auxiliaires médicaux pourtant moins directement concernés par des risques d’atteintes à la vie, comme par exemple les orthophonistes ou les kinésithérapeutes… Bien qu’ils aient l’obligation déontologique d’exercer leur mission dans le respect de la vie et de la personne humaine, les pharmaciens restent les seuls professionnels médicaux à ne pas pouvoir invoquer la clause de conscience pour refuser de porter atteinte à la vie humaine, comme notamment de délivrer la pilule dite « du lendemain » à l’effet potentiellement abortif.
85% des pharmaciens en faveur de la clause de conscience
L’Ordre des pharmaciens avait pourtant organisé depuis septembre 2015 une consultation auprès des 75 000 pharmaciens, dans le cadre de la révision du code de déontologie de la profession. Ils étaient notamment interrogés sur l’opportunité d’introduire une clause de conscience dans le prochain code. Résultat : 85 % des 3000 pharmaciens qui avaient répondu au questionnaire souhaitaient bénéficier de la clause de conscience ! Comme l’a souligné Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita, « la reconnaissance d’une clause de conscience est d’autant plus nécessaire aux pharmaciens aujourd’hui que leur métier induit une responsabilité personnelle croissante vis-à-vis de la santé publique et des usagers » notamment lorsqu’il s’agit de délivrer des produits « éthiquement sensibles ».
« Totalement étranger à toute proposition de loi concernant la clause de conscience »
Fort de ce consensus des principaux intéressés, Jacques Bompard, député du Vaucluse (Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan), a déposé une proposition de loi pour insérer ce nouvel article dans le Code la santé publique : « Le pharmacien dispose d’une liberté de conscience lui permettant de refuser d’acheter, de préparer ou vendre tout médicament ou traitement qu’il jugera dangereux pour le patient ou susceptible d’affecter la vie humaine. » Réaction immédiate de l’Ordre national des pharmaciens sur son compte Twitter (1er septembre) se disant « totalement étranger à toute proposition de loi concernant la clause de conscience » et assurant qu’il ne « souhaite pas être associé à cette proposition qui n’est pas en adéquation avec ses valeurs et l’esprit des travaux ordinaux ».
Un efficace tir de barrage gouvernemental
Ce résultat massif avait poussé dans un premier temps l’Ordre national des pharmaciens à proposer dans une nouvelle consultation l’insertion d’un article ainsi rédigé : « Sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine. Il doit alors informer le patient et tout mettre en œuvre pour s’assurer que celui-ci sera pris en charge sans délai par un autre pharmacien. Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique » – une première entorse à la liberté de conscience. Le Planning familial efficacement relayé par Marisol Touraine, ministre de la Santé, et Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, a dès lors opposé un efficace tir de barrage médiatique, mi-juillet, au nom du droit des femmes d’accéder à l’IVG. L’Ordre suspend alors la nouvelle consultation lancée début juillet via Internet et qui devait se poursuivre jusqu’au 31 août, et s’est engagé à ce que l’article pourtant déjà édulcoré ne soit pas introduit dans le nouveau code.
Un cas flagrant de discrimination
Les pharmaciens restent donc victimes de cette « discrimination inexplicable » relevée par Jean-Baptiste Chevalier, avocat au barreau de Paris, dans un article de La Croix : « Alors que de telles clauses de conscience existent en Belgique, en Angleterre, en Espagne et au Portugal, et bientôt en Italie », ils n’ont pas le droit en France à la liberté de conscience inscrite dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. La décision du Conseil de l’ordre des pharmaciens contredit également le « droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux » réaffirmé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans une résolution du 7 octobre 2010.
« La Cour européenne exige des législations nationales qu’elles soient cohérentes et non discriminatoires. Si un recours était formé, il serait gagnable », estime Grégor Puppinck, directeur du Centre européen pour le droit et la justice, dans Famille Chrétienne. Affaire à suivre, donc !